Lors de sa dernière entrevue, en général très intéressante, avec le magazine Télérama, Xavier Dolan a suscité une controverse en France par les propos qui suivent :
Télérama : Vous avez quand même écopé d’un étiquetage de cinéaste gay… Et obtenu la Queer Palm, à Cannes, pour Laurence Anyways.
Xavier Dolan: Que de tels prix existent me dégoûte. Quel progrès y a-t-il à décerner des récompenses aussi ghetoïssantes, aussi ostracisantes, qui clament que les films tournés par des gays sont des films gays ? On divise avec ces catégories. On fragmente le monde en petites communautés étanches. La Queer Palm, je ne suis pas allé la chercher. Ils veulent toujours me la remettre. Jamais ! L’homosexualité, il peut y en avoir dans mes films comme il peut ne pas en avoir.
Nous avons demandé à Franck Finance-Madureira de la Queer Palm de commenter cette déclaration.
Bazoom : Quelle est votre première réaction face à la déclaration (plutôt surprenante) de XD ?
FFM : La question du journaliste de Télérama était un peu « tendancieuse » puisque l’utilisation du verbe « écope » semblait induire déjà une notion pas très positive. La réponse de Xavier Dolan ne m’a pas surpris, il a toujours tenu le même discours quant aux prix célébrant le cinéma queer et les festivals liés au cinéma LGBT. Même si l’usage du mot « dégoût » me semble un peu fort, je considère qu’il a tout à fait le droit de dire ce qu’il pense. Même si je ne suis pas du même avis, je respecte sa position et je réaffirme à qui veut l’entendre l’admiration que j’ai pour le travail de ce cinéaste extrêmement talentueux. « Mommy » était pour moi le meilleur film présenté à Cannes cette année et j’encourage tous les Français à se précipiter en salles le 8 octobre prochain !
L’erreur commise, et elle est double, c’est de croire que la Queer Palm est un prix gay qui récompense un réalisateur gay.
La Queer Palm est un prix « queer » qui récompense un film traitant de parcours de vie ou de sexualités « hors-normes », ou encore un film qui remet en cause les codes de genre. Pour être clair, dans la sélection d’une quinzaine de films soumise au jury présidé par Bruce LaBruce en mai dernier à Cannes, seuls 5 parlaient clairement d’homosexualité. Enfin, la sexualité du réalisateur n’entre jamais en ligne de compte. Ce qui prime c’est la qualité du film comme pour toutes les autres récompenses cannoises.
La Queer Palm célèbre avant tout l’ouverture d’esprit dans le plus grand festival de cinéma du monde.
Bazoom : Quelle est, selon vous, la pertinence d’un tel prix de nos jours ?
FFM : De nos jours, en France, les personnes trans n’ont pas les mêmes droits que les autres, les lesbiennes sont discriminées dans l’accès à la PMA [ndlr : procréation médicalement assistée]. Dans de nombreux pays, pas si lointains, des personnes voient leurs droits bafoués, sont condamnées, emprisonnées, torturées, tuées parce qu’elles n’ont pas la même sexualité que les autres. Un prix de cinéma, c’est bien peu de choses mais si cela permet de mettre en avant le travail de cinéastes talentueux, si cela les aide à diffuser leurs œuvres, à convaincre des distributeurs et également des spectateurs de se confronter à ce qui n’est pas la norme, c’est déjà ça. Il y a encore de nombreuses mentalités à faire évoluer, il me semble que le cinéma peut y contribuer à son échelle, comme les bénévoles de la Queer Palm et les jurés qui ont soutenu le prix contribuent à leur petite échelle à faire entendre des voix « différentes ».
Créé en 2010, la Queer Palm n’est pas le seul prix LGBT des grands festivals. Berlin a le Teddy Award depuis 1987, Venise a son Queer Lion depuis 2007. À voir la liste des jurés (voir le lien vers Wikipédia à la fin de l’article), nous pouvons constater que ce sont des professionnels qui accordent ces prix.
Même si je vais continuer d’aimer et de respecter l’oeuvre de Xavier Dolan, souligner la contribution des LGBT ne signifie pas s’enfermer dans un ghetto. Ne serait-ce pas plutôt une façon de développer un esprit de tolérance et d’acceptation au sein de la population ?
C’est d’ailleurs le mandat que nous nous sommes donnés : faire découvrir la vigueur de la production culturelle québécoise à travers ses artisans et de développer un dialogue intergénérationnel sans égard à l’orientation sexuelle. Et, ce, même si la majorité de notre équipe est LGBT.
[Entrevue (extrait) du Télérama – Réaction de Yagg – Site de la Queer Palm – sur Wikipédia.]