Dans le cadre de Coup de cœur francophone, le Benoît Paradis Trio se produisait au Verre Bouteille dimanche soir le 8 octobre dernier. Au départ, l’idée de découvrir le trio montréalais dans ce bar m’a plu car j’adore l’atmosphère chaleureuse de l’endroit où on arrive à créer un lien d’intimité avec les artistes en représentation. Je connaissais à peu près toutes les chansons du trio, mais je ne l’avais jamais vu performer. Je ne suis pas prêt d’oublier ce spectacle qui a littéralement fait lever le bar bondé dès les premières chansons. La majorité des chansons qu’allaient nous proposer les trois musiciens composent le matériel de leur CD intitulé T’as-tu toute paru en février 2015, album témoignant de la plume imaginative de Benoît Paradis.
Tout d’abord, dès que le multi-instrumentiste prend le micro, on se rend compte que l’auteur-compositeur-interprète est heureux d’être sur scène, son enthousiasme est irrésistible. Sa folie aussi. Il nous présente ses chansons qu’il dit « déprimantes » avec un humour qui lui est propre, non dénué de réflexions existentielles où l’amertume se consume en autodérision. Et quel musicien! Dès les premières mesures, on découvre un jazzman qui a un sens du rythme naturel et chez qui le scat semble être une seconde nature. Le compositeur a développé au fil des ans une écriture moins expérimentale, plus mélodique, sans pour autant y délaisser l’audace et la désinvolture. Il y va de quelques touches modestes aux percussions avant de saisir une guitare sur laquelle il s’amusera avec inventivité. Puis, il nous séduira littéralement en soufflant dans une trompette au timbre brut et chaud. Quelques passes de trombone se grefferont aussi à d’autres pièces. Les cuivres définissent en partie l’originalité du musicien qui insuffle à sa trompette en particulier un son nature sans artifices. Le musicien maîtrise aussi l’art de siffler qu’il nous dévoile dans des solos époustouflants! Et le leader a un sens du timing peu commun, il est un showman remarquable et original.
Le Benoît Paradis Trio est non seulement solide musicalement, mais séduit par l’unique complicité du trio. On a même l’impression parfois que les trois musiciens viennent juste de se découvrir, là, devant nous ! La pianiste Chantale Morin joue sur les mélodies jazzy avec une grande sensibilité… le mot « feeling » me vient plutôt à l’esprit, peut-être parce qu’on parle de jazz. On sent tout de suite qu’elle est inspirée par les chansons du compositeur. D’ailleurs, l’émotion transparaît dans son jeu pianistique qui contribue beaucoup à la couleur musicale du trio dans plusieurs chansons. Et comment pourrait-on rester insensible au jeu du contrebassiste Benoît Coulombe dont les cordes vibrent avec la subtilité qu’il faut pour conduire les chansons vers des détours mélodiques inattendus mais si efficaces! Ses courts solos brillent de sobriété !
Je m’en voudrais de passer sous le silence le talent « théâtral » de Benoît Paradis. Imprévisible, il peut grimper sur une chaise, un pied appuyé sur le dossier, dans un équilibre douteux, pour mettre en lumière sa folie audacieuse et poétique à la fois. À certains moments, le jazz lui passe par le corps, il se contorsionne pour en incarner toutes les nuances. Mais cette folie n’est pas gratuite, elle vient nous chercher dans les sous-entendus qu’elle suggère, dans l’humanité du performeur. Le Benoît Paradis Trio nous implique dans son univers sans aucune prétention, on a l’impression de retrouver sur scène de vieilles connaissances et de grandes complicités.
Oui, ce spectacle du trio montréalais a été pour moi une révélation et j’en suis ressorti étrangement plus heureux comme si les chansons de Benoît Paradis avaient laissé leur empreinte quelque part en moi. Ah, si je savais siffler !
François Martel anime à CIBL 101,5 Vinyle en mille morceaux.
[Première parution : le 16 novembre 2015.]