Avant Céline

Loin de vouloir m’immiscer dans le débat entourant les funérailles nationales de René Angélil, ce n’est pas ma tasse de thé, je m’insurge toutefois lorsque j’entends certains affirmer que le couple Dion-Angélil a « mis le Québec sur la map. » Notre mémoire collective est un gruyère. Comme si avant eux il n’y avait pas de grands précurseurs. En m’en tenant uniquement au monde musical, rappelons l’apport de ces quelques Québécois qui ont eu une grande carrière internationale avant même la naissance de Céline.

Emma Lajeunesse dite Albani (1847-1930)

Sans conteste la première grande vedette internationale du Canada. En 1868, Elle partira étudier à Paris, puis à Milan. Elle a fait ses débuts à l’opéra de Messine, en Sicile, l’année suivante. Son interprétation de Mignon, d’Ambroise Thomas, à Florence la consacrera en 1871. Albani a chanté dans la plupart des capitales européennes et aux États-Unis. Jusqu’à sa retraite, en 1896, elle restera une des chanteuses d’opéra les plus appréciées sur la scène internationale. Elle fut aussi amie et confidente de la reine Victoria.

«Sa voix légère, son aisance scénique, sa maîtrise du mezza-voce, sa technique parfaite et son art du trille (…) la rendent l’interprète idéale du bel canto, qui domine alors dans les théâtres lyriques. »

Eva Gauthier (1885-1958)

Lancée par Emma Albani, cette mezzo-soprano fut une artiste peu conventionnelle et éclectique. Elle s’intéressa à la nouvelle musique occidentale en adoptant le répertoire de Ravel, qui fut aussi son amant, Bartók, Hindemith, Schoenberg et Stravinsky. C’est elle qui a fait découvrir à l’Europe George Gershwin. Elle a fait également des tournées en Asie et en Océanie et est peut-être « la première cantatrice d’Occident de formation classique à étudier avec un ensemble gamelan javanais. »

Wilfrid Pelletier (1896-1982)

En 1922, il devint chef adjoint au Metropolitan Opera de New York. En 1922, il dirigea les Concerts du dimanche au Metropolitan dont il assuma la direction artistique deux ans plus tard. Le 28 février 1929, il accéda au poste de chef régulier et resta en fonction jusqu’en 1950. Il est co-fondateur et le premier directeur de ce qui deviendra l’Orchestre symphonique de Montréal (1934).

Raoul Jobin (1906-1974)

Au lendemain de sa mort, le critique français Jean Goury lui rend hommage : « Raoul Jobin est assurément l’un des plus prestigieux ténors d’expression française des dernières décades. Sa voix, au timbre personnalisé – ni italianisant ni nordique mais imprégnée des chaudes senteurs du terroir canadien – est capable de produire de surprenantes variations de dynamique… Raoul Jobin est un chanteur de grande école, ne sacrifiant jamais le pathétisme à la musicalité, conservant en toute circonstance, une sobriété du meilleur aloi » (Guide musical opéra, Paris, 9 février 1974). Raoul Jobin fut considéré le plus grand ténor français de son époque.

Félix Leclerc (1914-1988)

La carrière de Félix Leclerc a pris son envol en 1950, lorsque l’impresario français Jacques Canetti, l’entendit chanter à Montréal. Il lui proposera immédiatement un contrat à Paris. Son style, seul avec sa guitare, influencera les débuts de Jacques Brel et Georges Brassens. Félix Leclerc ouvrira la porte de la France et de l’Europe à toute une génération de chansonniers et chanteurs québécois, dont Gilles Vigneault, Robert Charlebois, Plume Latraverse, Diane Dufresne, pour ne nommer que ceux-là.

André Mathieu (1929-1968)

Le critique français Émile Vuillermoz écrit de lui en 1939 : « Si le mot « génie » a un sens, c’est ici que nous pourrons le trouver. Mathieu a seulement dix ans (…) au même âge, Mozart n’avait rien écrit de comparable. » Miné par l’alcoolisme, André Mathieu verra sa carrière décliner de pair avec sa santé. De nos jours, le pianiste Alain Lefebvre réhabilite son œuvre qui est maintenant étudiée dans nombre de pays.

J’aurais aimé ajouter à cette liste La Bolduc (1894-1941) que d’aucuns reconnaissent comme la première femme auteur-compositeur interprète de la chanson française. Mais elle n’a pas eu de carrière internationale. Quant à Alys Robi (1923-2011), il serait temps de déboulonner son mythe et de faire la part des choses entre la réalité et les affabulations de « Lady » Robi.

Pour terminer, je tiens à saluer la carrière de Céline Dion appuyée par feu son mari René Angélil. C’est sans conteste le plus grand succès de l’histoire du show-biz québécois. Un succès qui risque de ne jamais être surpassé.

[Photo : Emma Lajeunesse dite Albani.]

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