Zïlon à contre-courant (2)

[Deuxième et dernier volet. Pour lire le premier.]

L’artiste underground créait des expos dans édifices abandonnés, peignait sur des toiles non montées, dans des ruelles. En 1987, le Business, bar branché de l’époque, l’a invité  à décorer la place. Il était devenu Monsieur Zïlon, le personnage qu’il s’est inventé. « Avant Zïlon était comme Zorro, laissant sa marque, son Z, un peu partout mais sans que l’on sache qui se cachait derrière ce nom. La Presse a couvert l’événement, il y a eu des interviews à la télévision. Là on a commençait à me reconnaître. Avant je fittais avec le papier peint et c’était bien comme ça. »

« Les galeries d’aujourd’hui veulent exposer de jeunes artistes, souvent de l’extérieur et vendre leurs œuvres à un prix de fou. Beaucoup de galeristes n’acceptent pas ma franchise. Pourtant, je suis prêt à dialoguer, à ouvrir des débats francs. Il y a eu des galeries qui voulaient me dire comment faire et quoi faire.  Tout le monde est roi et maître dans son patelin. C’est bien si j’inspire des jeunes, mais il ne faut pas monopoliser sur le talent des autres pour faire sa propre putain de carrière. On t’inspire, bien, mais vas ailleurs. »

« Un galeriste, en mettant fin à deux ans de collaboration, m’a déjà dit qu’il ne connaissait rien à l’art urbain. On se pense bien entouré quand on reçoit un chèque. Mais ce que tu reçois, tu leur dois. C’est comme aller à l’école avec les prêts que tu dois ensuite rembourser. Regarde Serge Lemoine mort d’un cancer, dans la pauvreté. Aujourd’hui ce sont des businessmen qui ont sa succession. »

La rencontre avec France Cantin a été un point tournant des dernières années. « France m’a beaucoup aidé mais, aujourd’hui, elle commence une nouvelle carrière. Je l’ai connu au temps du F**k Star du Sky avec Costa et Frigid. Au début, elle se tenait loin de moi, à cause de ma réputation de pas facile. Au bout de quelques temps, je lui ai demandé si elle voulait être mon agent et elle a accepté. »

Zïlon continue à partir des groupes obscurs comme les Fraises Duchamp avec Simon DuPlessis et Steve Lévesque. « Mais je ne suis pas musicien, je ne suis pas capable de suivre un musicien professionnel et il n’est pas capable de me suivre. Mais la vie est un jeu, faut pas que ça devienne trop sérieux. Je me suis trouvé une fibre de producteur. Si j’avais de l’argent, j’aimerais produire des groupes fuckés –dans le bon sens du mot. J’ouvrirais une galerie avec des artistes les plus disjonctés mais avec du style.»

« La musique d’aujourd’hui est devenue de la musak. Une franchise, un Mcdonald ou je ne sais quoi. Je suis moi aussi un produit de consommation en un certain sens. Quand tu paies une toile à deux mille dollars… Tu achètes une signature en quelque sorte. Mais quand je vois des toiles se vendre cent mille dollars pour un deux pieds par deux pieds… Elle est où, l’Art Pop ? Populaire veut dire accessible. Je ne veux pas être millionnaire. Je souhaite vivre confortablement. Pouvoir continuer à avancer. Je dépends des autres, comme tout le monde. En tant qu’artiste, je dois vendre mes images, vendre mes idées. »

« J’essaie de transmettre l’esprit des années 1970 et 1980 aujourd’hui. J’ai fait des collages sur mon I-Phone. On pourrait dire que ça ressemble à du dadaïsme digital. Ce sont des améliorations technologiques. J’ai un atelier dans ma main. Mais j’ai besoin du côté physique. »

« C’est pas toujours facile se lever le matin. Le téléphone ne sonne pas souvent. Suis-je encore utile dans la société dans laquelle on vit ? La célébrité, ça dure deux minutes. Notre époque est conservatrice, consommatrice. Dans mon appartement actuel, j’ai demandé la permission de peindre les murs. On a accepté mais en partant je dois les remettre blanc. Je ne me reconnais même plus dans les magazines gais avec ces jeunes de dix-huit ans photoshoppés. »

Pour bien des artistes, 2013 aurait été une année de rêve avec la décoration du Shag du Métropolis, Givenchy à Paris et le décor du Quai 417 dans le Vieux-Montréal. Pourtant Zïlon est mitigé.

« Il y a encore des gens inspirants aujourd’hui. J’ai eu des bons moments en 2013. J’ai mes insécurités, mes questionnements. Je ne sais pas où je m’en vais. J’ai eu des perles cette année mais aussi des moments pénibles. »

«Des fois je crois que j’aurais dû mourir dans les années 1990, au sommet de mon fun. Je ne veux pas être perçu comme un pépère. Ma retraite sera six pieds sous terre. Je suis encore un punk. Je peux encore faire de la magie avec une économie de moyens, du beau, bon, pas cher. Les punks existent encore mais ils se couchent plus tôt », ajoute-t-il avec une pointe d’humour. « Je me sens écarté, nostalgique. Je ne retrouve plus nulle part l’effervescence de cette époque. »

« Faut aller jusqu’au bout, par perdre espoir. Il y des endroits pour faire des choses intéressantes mais il faut des gens intéressés. Je suis conscient de ne pas être facile à travailler mais je me considère généreux. Je suis une personne heureuse quand je travaille, quand je crée. J’aime rire, rencontrer des gens intelligents, avec du caractère. » Et des projets.

[Photos fournies par l’artiste.]