Les 9 vies de Jean-Luc Bonspiel

Bonspiel-1979-2[Première partie de trois]

Jean-Luc arrive à nos bureaux à 10h tapant, comme prévu. La veille, il avait donné un spectacle avec son nouveau groupe, La Maison des Truites, un jeu de mots comme il les affectionne. Nous, c’était plutôt l’air de Sophie Stickée, de Vent du Mont Schärr, son légendaire groupe alternatif des années 1980, que nous avions en tête en le voyant arriver. Depuis la polyvalente, nos chemins ont suivi une trajectoire parallèle. Nous avons eu bien des amis en commun mais nos chemins ne s’étaient plus croisés. Une entrevue à bâtons rompus, du coq à l’âne, allait s’en suivre.

« On reprend une conversation interrompue en 1977 à Saint-Léonard dans le café étudiant  », lance-t-il en guise d’introduction. Son esprit de provocation ne date pas d’hier. Je me souviens de mon jeune frère me téléphonant, paniqué : « Des jeunes jettent des pierres sur Jean-Luc Bonspiel ! » Il était en train de se faire photographier en costume nazi à l’entrée de la polyvalente…

Je suppose que les jeunes d’aujourd’hui auraient du mal à se figurer ce qu’était le café étudiant de la polyvalente St-Ex dans cette morne banlieue du nord de l’Île de Montréal qu’était Saint-Léonard à cette époque. On roulait du tabac Drum, on fumait des Gitanes, des Gauloises et d’autres substances moins licites dans une atmosphère complètement enfumée, dans la quasi obscurité, éclairée uniquement par des spots de couleur et où jouaient en boucle les quatre ou cinq disques, de Led Zeppelin, Genesis, Supertramp, que contenaient la discothèque. Jean-Luc et moi, nous nous retrouvions régulièrement, question de jouer aux échecs, discuter et manquer nos cours dans cette atmosphère assourdissante.

« Ce café était l’initiative du principal– je le sais car il sortait avec ma mère – qui voulait  retenir les adolescents et les empêcher de traîner dans les rues car il y avait un noyau de messieurs qui n’avaient pas nécessairement les meilleures idées…» se remémore Jean-Luc.

« À Saint-Léonard, il y avait du bon monde. Mais ce n’était pas cosmopolite. Il n’y avait pas d’art. C’était médiocre. Une seule galerie de fleurs en pot, de clowns tristes. Avec du recul, avec notre regard d’adulte, on se rend compte qu’il y avait des épaves, à peine fonctionnelles, des weirdos parmi nos profs. Des jeunes aussi qui ne savaient pas comment s’y prendre. Je n’ai jamais voulu être prof. Si tu as le moindrement le cœur à la job, ça mine le moral ben raide. »

« Le départ de Saint-Léonard, tu as regretté ? Moi je n’ai jamais regardé en arrière. Maintenant ça commence à ressembler aux abords de la ville. Quand par mégarde j’y retourne, je pense au boulevard des Laurentides. Tout est laissé à l’abandon depuis des années. Heureusement dans les années 1960, les habitations étaient mieux construites. Aujourd’hui avec tous ces condos qu’on construit… De haute qualité ? Puis la bulle, la fameuse bulle qui va éclater… »

Jean-Luc Bonspiel est né à Montréal, à l’hôpital Jean-Talon pour être précis. Il a du sang Mohawk par son père qui vient d’Akwesasne. « Tu peux t’imaginer la bizarre de famille. » Son grand-père était un pur autochtone. Il avait marié une blanche, ce qui n’était pas courant à l’époque. « Peut-être des histoires de trafic, qui sait ? » Au primaire, il a sauté sa quatrième année parce que, croit-il, la maîtresse ne voulait pas l’avoir. « Je devais être trop perturbant, je suppose. » Après Saint-Léonard, ce fut le Collège Maisonneuve. « Là ce fut bien. »

Le Collège Maisonneuve et le milieu underground

Quitter Saint-Léonard, lui a permis de découvrir un autre univers. Venu jouer dans le spectacle de la Passion, il se souvient encore du curé de Sainte-Angèle de Mérici qui l’obstinait que Ponce Pilate était Juif et Hérode, Romain. « Il me disait qu’il savait de quoi il parlait car c’était lui le curé. C’est la dernière fois que j’ai mis les pieds dans une église. »

Ce sont plus les gens qu’il a rencontrés que les études comme telles qui l’ont formé. «Parfois j’ai dû travailler pour payer mon inutile bac en linguistique de l’UQÀM. La direction nous disait qu’on allait fermer le département. Mais inquiétez-vous pas, vous aurez le temps de finir. On n’a plus de ressources et vous allez avoir la scrap… Nous ça nous fait peur Chomsky… Tout ça pour créer un département de science de la langue. Essentiellement pour apprendre comment faire un c.v. », ironise-t-il.

« Maisonneuve ce fut merveilleux. J’ai rencontré Zïlon, puis Cantsin. C’est Tristan Renaud qui me l’a présenté. On fumait du hash en écoutant Klaus Nomi dans un sous-sol de bungalow à Laval. J’écoute en ce moment ce qu’on a enregistré au début des années 1980. C’est bon car on n’avait pas d’inhibitions. Je me souviens que sa mère aimait beaucoup les œuvres qu’il peignait quand il était plus jeune. Son premier tableau était exposé dans la cuisine, un marin à la pipe. Zïlon était déçu, car il venait de s’inscrire à un cours d’art par correspondance et ça ne correspondait pas à ses attentes. Déjà, on était très impressionné par son coup de pinceau. »

Et il y avait la littérature. « Je ne me souviens plus comment j’ai rencontré Gaétan Soucy. J’imagine que qui se ressemblent, s’assemblent. Je le tétais souvent afin qu’il écrive dans nos différents magazines éphémères comme Ecce Ovo. Nous ne sortions généralement qu’un numéro, des photocopies brochées. »

C’était l’époque Néoiste. Monty Cantsin, Istvan Kantor de son vrai nom, Hongrois né en 1949 et émigré au Canada, en est la figure emblématique.

« En peinture, j’ai été commissaire-priseur aux Trois par quatre, second de François Gourd. Des artistes relançaient leurs propres toiles. Armand, je t’aime bien mais tu me fais chier. Je veux m’en aller me coucher. Il y a bien du narcissisme dans ce milieu-là, il faut que tu fasses avec. Je suis certain que je suis aussi coupable que les autres. Ostie que j’ai détesté ça. »

« On réalisait des performances, à l’époque il y avait un réseau de galeries, dont celle d’Arthur Pinchaud. Mon groupe préféré a été Électrolux avec Alan Lord, Zïlon et Jean-Martin Migneault. On jouait  de la musique électronique incompréhensible devant cinq ou six personnes. Ça tenait du vaudeville et de la croisade. »

« Puis il y a eu les deux festivals de poésie où j’ai rencontré William S. Burroughs et toute la gang de poètes de New York. Si tu compares avec les soirées d’aujourd’hui au Gainsbar, à L’Escalier ou au Bistro de Paris… »

[Lire la suite.]

Bonspiel-1979

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Photo : Les Néoistes vers 1979 - Yana, Kiki Bonbon (Monty Cantsin), Jean-Luc Bonspiel et Lion Lazer (Zïlon).]

[Vent du Mont Schärr sur BandCamp.

La maison des truites sur Facebook.

Tous les cancers de l’Arc-en-ciel – Dimanche 23h sur CIBL 101,5 Montréal.

Jean-Luc Bonspiel sur Soundcloud.

Jean-Luc Bonspiel sur Facebook]