Steve Bonspiel
Collaboration spéciale
[NDLR : Ce texte sur la Crise d’Oka a été publié dans le The Eastern Door (journal hebdomadaire Mohawk). La traduction est de Jean-Luc Bonspiel. Publié avec permission.]
Vingt-trois ans se sont écoulés depuis ce jour fatidique qui a changé nos vies et celles de tous ceux qui nous entourent. L’expérience nous a appris ce que la solidarité (ou son apparence, tous n’étaient pas d’accord) pouvait faire pour la Nation Mohawk. Et cela s’est produit d’une façon que nous ne voulons jamais voir se répéter.
Nous étions au début de la matinée du 11 juillet 1990 et un groupe de manifestants paisibles s’étaient réunis dans le lieu appelé La Pinède pour empêcher l’expansion du terrain de golf à neuf trous à Jean Ouellette (voir idiot), le maire d’Oka. Que les pins majestueux qui s’y trouvaient, des pins blancs plantés par notre peuple, risquaient de se faire arracher pour faire place à une aire de départ et de pratique de coups roulés était sans conséquence; il importait seulement que la volonté de Ouellette soit faite, peu importe ce que nos gens en disaient.
C’est tôt ce matin-là que la Sûreté du Québec fut lancée à l’assaut, tirant des balles, du gaz lacrymogène et de l’artillerie militaire en direction des hommes, femmes et enfants qui veillaient sur un feu de camp pacifique. On avait déjà brûlé du tabac et les gens présents étaient tout sauf confiants d’une résolution à l’amiable, ce qui fut brutalement confirmé lorsqu’ils durent collectivement se plaquer pour sauver leurs vies.
Étonnamment, personne ne fut blessé de notre côté, mais le caporal Marcel Lemay de la SQ fut tragiquement abattu au cours d’une bataille à laquelle il ne voulait pas prendre part. Certains disent qu’il s’agit d’un coup monté. Nous ne le saurons peut-être jamais. Personne ne fut jamais accusé de son meurtre.
Il est important de se remémorer et de revoir cette époque. Les jeunes qui sont à l’université aujourd’hui (qui n’étaient alors pas encore nés ou étaient très jeunes) n’ont aucune expérience directe de ce qui est arrivé. Nous devons leur raconter, leur rappeler d’une certaine façon, pour qu’ils puissent porter la narrative et la véritable histoire de ce qui s’est produit il y a 23 ans, par cette chaude journée d’été.
Ne laissez personne vous berner : les faits demeurent des faits, on nous a tiré dessus et nous avons tenu bon pour protéger notre terre. Nous n’avons bloqué aucune route avant d’y être obligés et nous n’avons jamais pris les armes avant d’être menacés. La SQ a fui, la queue entre les jambes, descendant la grande colline menant au village d’Oka. Les forces envoyées par le maire Ouellette avec l’approbation du premier ministre de l’époque, Robert Bourassa (voir raciste), n’ont pas démantelé les barricades.
Nous avions gagné et ce fut une rare victoire pour un peuple qui, à l’époque, ne faisait que commencer à se battre pour le retour de nombreux droits. Et ce fut considéré comme une renaissance. Soudainement, les mariages entre membres des trois communautés de Kanesatake, Kahnawake et Akwesasne se firent plus nombreux, grâce à la Crise.
Nous avons compris certaines réalités à ce moment. Premièrement, à quel point nous étions vulnérables à l’attaque de l’extérieur. Deuxièmement, nous avons réalisé que pour changer les choses nous avions besoin de plus de solidarité et de plus de monde pour continuer nos batailles politiques. En fait, malgré la douleur qu’elle a causé à plusieurs d’entre nous, la Crise fut probablement la meilleure chose à arriver aux Mohawks et aux peuples Autochtones en général depuis fort longtemps.
Lorsque les représentants du gouvernement affirment, « Nous ne voulons pas d’un autre Oka », ou que d’autres autochtones disent, « Nous nous battrons, comme à Oka », cela démontre l’impact que cet événement a eu sur le monde extérieur, et ce jusqu’à ce jour. Pour les jeunes, il est important de se rappeler que nous n’avons posé aucun geste terroriste. En fait, ce fut plutôt du terrorisme dirigé contre nous, avec l’approbation de Québec et d’Ottawa, dans le but de nous ravir encore plus de territoire. Et c’est une situation que nous ne devons jamais laisser se reproduire.
Idle No More nous a démontré que nous pouvons nous battre sans fusils ou armements, et avoir le Canada à son propre jeu. Mais ce combat n’est qu’un début. La législation canadienne visant à détruire l’essence même de nos structures internes (ou ce qui en reste) représente la plus récente attaque envers notre communauté et notre avenir.
Nous devons continuer la lutte par des moyens productifs tout en informant les canadiens de ce que nous faisons et pourquoi nous agissons. Nous devons les renseigner sur leur propre histoire et disséminer la vérité, même s’il s’agit d’une tâche extrêmement ardue. Certains n’écouteront jamais, ce qui est dommage, mais ceux qui le feront deviendront nos alliés et combattront à nos côtés. La vérité les rendra libres.
Nous avons de nombreux appuis dans le monde non-autochtone et si nous sommes suffisamment habiles, les conservateurs ou ceux qui seront au pouvoir seront contraints d’écouter nos doléances. La Crise d’Oka avait ses pour et ses contre, mais si on considère que nos revendications se sont ainsi retrouvées sur le dessus de la pile, c’est un bon jour pour être Mohawk et de célébrer le long chemin parcouru.
N’oubliez jamais.