Diversifier les bars du Village

Entrevue avec Stéphane Mabilais

Stéphane Mabilais dirige le festival Mtl en arts — qui succède au Festival International de Montréal en Arts (FIMA) —, un événement qui permet à plus d’une centaine d’artistes d’exposer sur la portion de la rue Ste-Catherine qui traverse le Village chaque début d’été depuis 15 ans. « Au début, j’aidais plutôt le directeur, je m’amusais à faire le site web, je m’occupais de logistique », nous dit cet ingénieur de formation. Mais vers 2006, Paul Haince, directeur général, décide de lui confier les rênes. Monsieur Haince devient président-fondateur et Stéphane Mabilais, le nouveau directeur général de l’événement. Stéphane Mabilais réside également dans le secteur depuis de nombreuses années.

Bazoom.ca est allé le rencontrer pour lui poser quelques questions libres sur l’état du Village, dans le cadre de son spécial Village 2015.

Quelles activités pourrait-il y avoir dans le Village pour inciter les gens à venir y déambuler ?

« C’est sûr que l’animation, il n’y en a pas beaucoup. Mais ça prend toujours de l’argent [pour créer de l’animation] ! note-t-il. La SDC [NDLR : Société de développement commercial du Village] essaie de faire de ventes de trottoir, mais on ne peut pas dire qu’il y a une grande concentration de commerces de détails ici. Du côté de Mtl en Arts, on souhaite créer des activités d’œuvres participatives, tout au long de l’été. Il y a le parc de l’Espoir aussi, que j’utilise pendant l’été, et qui pourrait être un peu plus exploité », nous a-t-il confié.

Est-ce que les activités qu’il y a déjà sur Ste-Catherine sont intéressantes ?

« Je trouve que la SDC, d’année en année, est assez impliquée. Prenons les boules roses, il y en a beaucoup qui chialent que c’est redondant, mais, d’un côté, c’est l’image de marque du Village maintenant », rappelle Mabilais, soulignant ainsi l’initiative de la SDC. « Ils ont commencé à créer plus d’installations [artistiques, pendant l’été], je pense que c’est une bonne direction », ajoute-t-il.

Devrait-on fermer la rue Ste-Catherine à l’année ?

Après un moment de réflexion, Stéphane Mabilais lance : « Non, quand même pas à l’année. Ça pourrait nuire à certains commerces. Mais ça pourrait être sympa une période de temps l’hiver, comme un 10 jours à faire du ski dans la rue ! Ça serait novateur, comme la SDC en général [dans ses projets]. Organiser des jeux, faire des bonhommes de neige ! [Rires]. Encore là, organiser des trucs participatifs. » Il pense aussi que « faire venir les enfants des écoles pour faire des activités, organiser différentes activités avec les organismes du quartier », serait une bonne idée.

Qu’est ce qui nuit le plus à l’achalandage dans le quartier ?

« Il y a tout le problème des gangs de rue et d’itinérance. Mais ça encore est-ce que ça nuit ? Je ne sais pas. Je trouve qu’on le sent un peu moins maintenant. Il me semble que depuis 2 ans c’est moins marqué. Avec le festival — c’est mon barème — j’ai moins de plaintes de la part des artistes là-dessus. Parce qu’à un moment donné, [les itinérants] couraient partout autour des tentes [du festival], les artistes disaient ‘’Ça n’a pas de bon sens, je ne retourne plus là’’. Ce n’était pas un environnement propice à la vente. Mais depuis 2 ans, c’est mieux », croit Mabilais. Et il ajoute : « Sinon, dans ce qui nuit, il y a aussi la sollicitation [des organismes qui dépêchent des gens dans la rue pour encaisser des dons]. Il y en a à chaque coin de rue, c’est vraiment lourd ça. Franchement, tu te sens agressé. »

Est-ce que les initiatives de la police, de l’arrondissement et des organisations comme le Collectif Carré-Rose aident à contrer les problèmes de violence et d’itinérance ?

« Probablement. L’arrondissement avait investi, je crois, pour qu’il y ait des intervenants sociaux sur place pour parler avec les itinérants et les jeunes en difficultés. Il y a un travail de fait là-dessus, c’est clair », remarque-t-il.

Quels types de commerces devraient s’installer dans le secteur pour qu’il soit plus complet ?

« Ce que je trouve dommage dans le Village, c’est que depuis au moins 10 ans, il n’y a pas eu un nouveau bar. Aucun changement, ça ne bouge pas. Les restaurants, il y en a eu à la planche, mais des nouveaux bars, non », relate Stéphane Mabilais.

« Moi je dis qu’il y devrait y avoir plusieurs bars, pour créer une variété. Il y a de la place pour ça. Juste au niveau musical, c’est la même musique partout. Ça prendrait de petits bars personnalisés, avec de la musique indépendante ou alternative. Quelque chose de plus branché, pour attirer les jeunes » souligne-t-il. Il pense aussi que « les jeunes écoutent d’autres genres de musique », et que « le style de musique du festival Osheaga, qu’on n’entend jamais dans les bars » manquerait au Village. « Pour un style plus électro, il y a un potentiel », croit-il.

Il ajoute aussi que « depuis des années, il y a un moratoire sur les permis d’alcool ici, et ça, ça tue. Quand je suis arrivé vers 1995-96, ça n’arrêtait pas ! Il y avait toujours un nouveau bar et un autre ! Ça bougeait énormément, c’était magnifique ! », se rappelle-t-il, avec nostalgie. « Il faut vraiment que le moratoire sur les permis d’alcool soit levé. Il y a plein de petits locaux dans le Village, il y a des jeunes qui pourraient se dire ‘’ On fait un bar ! ‘’. Ça ne prend pas de gros investissements. Je parle de micro-bars. De toutes façons, les gros bars, on le voit ça ne fonctionne plus », conclu-t-il.

Y a-t-il assez de commerces pour attirer une clientèle extérieure dans le Village ?

« Il manque de boutiques de linge et des commerces du genre. Mais est-ce qu’en ouvrir 2 ou 3 déplacerait le monde ? Je ne crois pas. Il faut toujours penser que le Village, au fond, c’est le nightlife et la restauration. Si le Village voulait une orientation plus boutiques de vêtements, ce n’est pas ça. Le Village, c’est des bars, des bars branchés, avec différentes ambiances », souligne Stéphane Mabilais.

Est-ce que le prix des loyers est justifié par rapport à l’achalandage dans le secteur ?

« Je ne sais pas trop combien ça coûte en moyenne un loyer sur Ste-Catherine. Mais le problème d’après moi ça vient de la Ville, avec les augmentations de taxes. Moi je le vois ici avec mon bureau, les taxes ont triplées en 6 ans. Et les propriétaires n’ont pas le choix de refiler ça aux commerçants », lance-t-il.

Est-ce que la Ville de Montréal s’implique bien dans le développement du Village ?

« Oui. Ils sont présents. Et financièrement, ils participent beaucoup. Comme la fermeture de rue, c’est beaucoup d’argent. Ils ont embarqué dans le projet de la rue fermée, même s’ils étaient réticents au début, mais ils ont donné le ok. Et ils continuent », nous dit-il.

Quelles mesures seraient susceptibles de garder le Village en santé ?

« C’est un peu ce que je viens de dire. Il faut lever le moratoire sur les permis d’alcool. Avoir une diversité dans les bars, franchement. Et il y a beaucoup de place pour ça. Et ça permettrait aux jeunes d’investir ici. La plupart des jeunes vont trouver le Village quétaine, parce qu’il n’y a rien ! Si la Ville disait : ‘’Bon, ok, on délivre une dizaine de nouveaux permis d’alcool’’, je suis certain qu’ils trouveraient preneurs assez rapidement. C’est certain ! Je serais moi-même tenté d’ouvrir un petit bar ! Et ça ferait bouger bien des choses dans le Village, ça créerait un peu de concurrence aussi. C’est ce que je verrais », propose le directeur du festival Mtl en Arts.

Propos recueillis par Sylvain Bazinet et Simon DuPlessis.

[Site de Mtl en ArtsIndex de l’État du Village 2015.]

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