État du Village : Rendre Ste-Catherine plus vivante

SONY DSCEntrevue avec Luc Généreux et Michel Dorion

Luc Généreux et Michel Dorion sont des commerçants du Village. Depuis 3 ans, ils sont copropriétaires associés du bar à spectacles Le Cocktail, au 1669 rue Ste-Catherine Est. En plus d’être propriétaire du Cocktail depuis 5 ans, Luc Généreux est également copropriétaire du sauna Oasis, avec 2 partenaires, depuis 8 ans. Il a également possédé des parts dans le bar Tools du complexe Bourbon depuis le début des années 2000 jusqu’à sa fermeture. Michel Dorion est un personnificateur féminin qui connait un grand succès au Québec et ailleurs. Il est résident et côtoie le Village depuis 27 ans.

Bien qu’il ait un passé de commerçant dans le secteur, Luc Généreux  a « beaucoup fréquenté le Village avant ». Pour Michel Dorion, ça fait bien des années qu’il habite et qu’il travaille dans le coin. « J’ai vu plusieurs étapes et générations de monde et de commerces », dit-il.  Bazoom est allé les rencontrer pour leur poser quelques questions libres sur l’état du Village, dans le cadre de son spécial Village 2015.

Quelles activités pourrait-il y avoir pour inciter les gens à venir déambuler dans le Village ?

« Il devrait y avoir de quoi l’hiver pour inciter les gens à visiter le quartier un peu plus. Une semaine d’activités, par exemple. Comme le Drague à Québec, ils font un bar de glace dehors, ils ferment la petite rue, c’est festif », note Michel Dorion.

« Peut-être autour de la St-Valentin. Une semaine de festivités, avec la rue fermée et des activités spéciales. L’hiver est une période creuse pour tout le monde. C’est là que les idées comme celle-ci peuvent être un incitatif pour la gens à venir dans le Village », propose Luc Généreux.

Serait-ce une bonne idée de fermer la rue à l’année ?

« Comme commerçant, je serais probablement favorable. Mais c’est de l’essai-erreur, il faut l’essayer ! Par contre, il y a un côté logistique qui est compliqué. Il faut déneiger. Le service des incendies doit pouvoir accéder. Mais l’un n’empêche pas l’autre, on peut être piétonnier et déneiger. Mais ça peut créer des problèmes de stationnement, ça pourrait être un irritant pour les gens qui veulent fréquenter le secteur. Il y a des pour des contres. Ça mérite de s’y pencher certainement. Il faut étudier », répond Luc Généreux.

Il n’y a pas beaucoup de places sur la rue piétonnière l’été pour s’arrêter. Croyez-vous qu’il devrait y avoir des aires de détente, ou plus de bancs ?

« À part le parc de l’Espoir, y’a pas beaucoup de place », constate Michel Dorion.

Mais Luc Généreux nous indique que « s’il y avait des espaces de détente, il faudrait que ça soit encadré. Parce que souvent ces espaces-là sont occupés par des toxicomanes ou des itinérants. Ça peut intimider des gens qui viennent de l’extérieur. Il ne suffit pas de simplement mettre des tables. Il faut un certain encadrement. Sans être répressif, il suffit juste d’occuper le territoire. Avec de l’animation par exemple ».

Michel Dorion propose justement un volet animation : « Mettre un peu de vie ne ferait pas de tort ! Moi, je réside dans le quartier, et à la longue je trouve que c’est monotone la fermeture de rue. Parce qu’elle te sert juste à aller au bar ou à aller manger. Y’a quelquefois des musiciens. Montréal est reconnue pour être festive. On n’est pas obligé de donner la permission à tout le monde de mettre de la musique dans le tapis, mais de organiser des activités, c’est un volet attirant ».

« Il y a des endroits où on monte une scène dans milieu de la rue. On peut faire des ventes de trottoir, comme sur la rue Masson. Je suis vraiment pour l’idée qu’on monte des spectacles, directement dans la rue » propose son associé.

Y-a-t-il beaucoup de commerces qui favorisent le lèche vitrine ?

Michel Dorion note que « non, il n’y en a pas beaucoup ».

Luc Généreux de renchérir : « Il y en a peu. Moi je ne suis pas dans le commerce de détail. Alors ça me touche moins. Est-ce que la rue fermée empêche le lèche-vitrine ? Je ne sais pas. La réponse à ça serait plutôt à trouver du côté du commerce de détail ».

Qu’est-ce qui nuit le plus à l’achalandage dans le quartier ?

« S’il y a quelque chose qui est une nuisance dans le coin, c’est la hausse importante du prix des parcomètres. Ils sont passés de 50 sous l’heure à 3 dollars de l’heure, grâce au maire d’arrondissement de l’époque, monsieur Labonté, vers 2007-2008. C’est aussi cher que dans l’ouest de la ville, mais on n’a pas le même pouvoir d’attraction ici ! Il suffit de regarder les places de stationnement vides, on pourrait stationner douze autobus sans problème ! On fait fuir littéralement les gens qui voudraient venir ici », témoigne monsieur Généreux.

Est-ce que le prix des loyers est justifié par rapport à l’achalandage ?

Luc Généreux nous a fait part de ce commentaire : « Les loyers sont chers. Je dirais qu’il a peut-être été justifié à une certaine époque. Si on remonte aux belles années, vers la fin des années 90 et le début des années 2000, il y avait beaucoup plus de monde qui fréquentait les bars et par ricochet les restaurants. Il se brassait vraiment beaucoup d’argent. Aujourd’hui les loyers sont restés les mêmes, mais la clientèle a chuté. Les propriétaires sont probablement non-résidents, non-commerçants dans le secteur. Ils doivent penser, à tort, que c’est encore l’eldorado ici, mais ce n’est pas vraiment le cas. Au Cocktail, on a commencé à loyer, et l’ancien propriétaire était un commerçant du Village. Le loyer était raisonnable, parce que le propriétaire savait qu’est ce qui en était. Un propriétaire qui est déconnecté, qui connait rien du Village, il peut charger trop cher. La plupart des commerçants disent qu’ils ferment à cause des loyers, le faible achalandage et les taxes municipales. Un commerce comme le mien, pour les taxes, c’est 50-60 dollars par jour ! ».

Quels types de commerces devraient s’installer dans le Village pour qu’il soit plus complet ?

« La SDC [NDLR : Société de Développement commercial du Village] fait des sondages sur gens qui travaillent dans le secteur. Ce qui revenait souvent ce sont les boutiques de vêtements, mais je ne sais pas si ça serait assez bon. Si les gens vont magasiner sur l’heure du midi, il faut que tu aies une offre qui en vaut la peine. On n’est pas comme à la Place Ville-Marie, où il y a probablement 500 boutiques dans l’entourage immédiat. Si on en ouvre 3 dans le Village, je ne suis pas certain qu’on va attirer la clientèle autant. À vrai dire, je ne sais pas ce qu’il peut manquer, toutes les réponses sont bonnes », argue Luc Généreux.

Est-ce que la violence dans le Village a vraiment augmenté depuis quelques temps ?

Sur ce point, monsieur Généreux croit que le phénomène est en baisse : « Il y a eu un « peak » en 2011-12, mais personnellement, je constate une diminution. Une diminution nette même. On n’entend presque plus parler des cas d’agression. Les toxicomanes agressifs, il en reste, mais beaucoup moins qu’avant. Il y a quelques années, il y avait toujours des toxicos devant la place ici. Cette année il y en avait moins ».

Michel Dorion croit que le Collectif Carré-rose a aidé à faire diminuer la violence. Son associé est d’accord avec lui : « Oui, ça a surement eu un effet bénéfique. Il a toujours un problème de revente de drogue dans le bout du métro Beaudry, ça demeure un problème. Avant on aurait dit qu’il y en avait à la grandeur du Village, mais je serais maintenant porté à croire qu’en nombre, ça s’est réduit ».

Trouvez-vous que la grande concentration d’organismes d’aide favorise la violence dans le quartier ?

« Clairement, mais on cherche depuis toujours des façons de cohabiter », note Luc Généreux. « Les déplacer, ça serait simplement déplacer le problème ailleurs. Ce n’est pas la bonne solution » lance Michel Dorion.

Est-ce que ça rend le Village moins sécuritaire ?

Michel Dorion ne trouve pas. Luc Généreux est du même avis : « Je ne pense pas non plus. Les itinérants qu’on voit, les plus visibles, sont rarement ceux qui sont les plus agressifs. Ça peut-être intimidant, mais de là à dire qu’on est agressé… Des fois, il y a un peu de préjugés ».

Est-ce que la Ville de Montréal s’implique bien dans le développement du Village ?

Le copropriétaire du Cocktail pense que oui : « Y’a beaucoup de choses qui ont été développées dans le Village, notamment par la SDC, qui n’existaient pas à Montréal et que la Ville a décidé d’embarquer. Comme la manière que nos terrasses sont installées : on est le seul endroit à Montréal où on peut faire ça. On réussit aussi à installer des choses sur les poteaux et les lampadaires, même pour l’hiver. Traditionnellement, la Ville refuse tout net ces projets-là. Tout ce qui est suspendu dans les airs, le service des incendies s’opposait férocement à ça. Finalement ils ont décidé d’essayer. Et avec le maire Coderre, je crois que ça va aller encore plus facilement. Il est ouvert à des choses que la Ville était plus frileuse à accepter.  Je pense qu’on a bien été servis par la Ville dans le Village. Le maire a déjà demandé à Bernard Plante [dirigeant de la SDC] pourquoi il fermait tout ça à la fête du travail ? Bernard Plante lui a dit que c’était ce que la ville souhaitait. Peut-être que Coderre va vouloir qu’on garde la rue plus longtemps et, habituellement, il livre la marchandise ».

Quelles mesures seraient susceptibles de garder le Village en santé ? 

« Un peu ce qu’on vient de dire. Ce que Michel disait au début, le volet animation, pour que la rue soit moins ennuyante. Et pour ça, il y a un millions de propositions possibles. Ça prend de quoi qui attire, pas juste avoir des amuseurs publics », nous dit Luc Généreux.  

Michel Dorion propose d’impliquer plus les résidents du secteur. Comme « faire des événements de quartier sur Ste-Catherine ».  

Et toujours de rappeler que la réouverture de rue au début septembre est un peu trop tôt : « Possiblement étendre la période jusqu’à l’halloween et faire une grosse fête d’halloween. Faire des choses l’hiver, aussi. Vraiment penser à l’animation. Des choses festives. Il pourrait y avoir d’autres activités et festivals comme le FIMA [NDLR : Festival international Montréal en Arts]. Plusieurs événements pour attirer les curieux ».

Faut juste trouver les moyens !

Propos recueillis par Simon DuPlessis et Sylvain Bazinet.

[Photo : Luc Généreux et Michel Dorion © Simon DuPlessis 2015. Site du Bar le Cocktail.]

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