Les chansons de GiedRé : Oreilles puritaines, s’abstenir…

Elle n’avait que 15 ans et déjà elle défendait ses chansons composées à la guitare dans un bar de son quartier. Son nom de scène : GiedRé. Au départ, elle privilégie l’autoproduction et refuse les offres de l’industrie musicale. Ainsi, en 2011, elle ne grave que 2000 copies de « Mon premier disque », et en trois mois, elle en aura écoulé toutes les copies. Entretemps, elle monte sur scène dans différents festivals et en janvier 2013, elle enregistre le premier disque qui la fera vraiment connaître : « Mon premier disque vendu dans les vrais magasins ». Elle multiplie ensuite les tournées dans des petites salles où l’on remarque vite l’originalité de son écriture teintée d’un humour noir très particulier. Plutôt prolifique, elle enchaînera avec « Mon premier album avec d’autres instruments que la guitare » et « Ma première compil’ (CD et vinyle) en 2014, puis tout récemment, « Lalala » où l’inspiration éclate sans retenue.

Cette jeune auteure-compositrice-interprète française d’origine lituanienne se démarque de tous les faiseurs de chansons de la scène musicale actuelle. Il n’y a qu’à écouter les paroles de son plus récent disque « Lalala » pour s’en convaincre. D’une voix toute douce, se rapprochant des voix de nymphette qui me laissent en général indifférent, elle égratigne la pensée puritaine et « politiquement correcte » sans ménagement.

Dans la toute première chanson de « Lalala » quand elle s’adresse à sa grand-mère confuse de 102 ans et lui dit : « Il serait temps que tu meures, grand-mère… » on éprouve un certain malaise; mais si on s’y attarde un peu, on admet qu’on a peut-être secrètement eu cette pensée soi-même devant la décrépitude intellectuelle de certains de nos aînés que l’on aime pourtant. GiedRé dit des choses qu’il ne faut pas dire, que la plupart des gens n’aiment pas entendre… surtout quand leur attitude est remise en question.

Dans « Le roi des animaux », sur une musique enfantine, elle chante « fièrement » que parmi tous les animaux de la planète, les hommes sont les plus forts, qu’aucune bête ne peut rivaliser avec l’homme qui tue comme il veut : lions, loups, agneaux, hommes, femmes, vieux, enfants… L’homme qui peut vider des océans et brûler tous les champs est sans contredit le plus fort. L’innocence dans la voix de GiedRé fait ressortir par contraste la dureté des réalités qu’elle évoque.

Dans la chanson « Pas des hommes », elle rappelle crûment que pour la majorité d’entre nous, nous qui « sentons bon », les clochards ne sont pas des hommes. En s’adressant à ces derniers qu’elle appelle les clodos, elle chante : « T’as beau sans cesse essayer de te mettre en travers de notre route, on pourra toujours te contourner, t’enjamber… C’est pas qu’on ne te voit pas, c’est juste qu’on fait semblant. Et même si on ne te regarde pas, t’inquiète, on te sent. » Étrangement, en écoutant chanter GiedRé, on a l’impression d’écouter de jolies comptines dans les premières mesures de chaque pièce, et plus les couplets progressent, plus la plume de l’auteure se fait surprenante et acérée. J’aime particulièrement les mots et le ton de sa chanson « Le gros enculé » où GiedRé ne se gêne pas pour affirmer qu’en chacun de nous se cache un gros enculé qui se fout de tout ce qui va mal sur la planète tant qu’il peut boire son coca et se payer un nouveau modèle de high phone. « Il s’en bat les couilles du bilan carbone, il veut du raisin au mois de mars… » Le gros enculé qui se cache en chacun de nous a une seule ennemie, la conscience qui lui gâte un peu la fête; mais quand ils se battent parfois, le gros enculé est vraiment trop fort, il a le dernier mot.

Ce que j’aime avant tout chez cette jeune auteure-compositrice, c’est qu’il n’y a rien de gratuit dans ses textes. Pour décrire notre monde et ses contradictions, elle emploie le ton d’une apparente légèreté qui exprime pourtant une réflexion profonde sur la nature humaine. Elle s’est peut-être vouée à nous retirer les lunettes roses que l’on porte trop souvent pour justifier notre indifférence. Et quand elle aborde la délicate question de l’existence de Dieu, elle n’adoucit pas sa plume pour nous chanter ses convictions : « Si Dieu vous aimait, je crois que ça se saurait. Il ne vous aurait pas fait si bêtes, il ne vous aurait jamais fait ces têtes. Si c’était votre bien que Dieu voulait, on l’aurait remarqué. Il ne vous aurait pas donné des vies toutes pourries, des jobs de merde, des enfants cons et des cancers à la vessie. (…) Au mieux Dieu n’existe pas, au pire, c’est un gros connard… »

Une chose est sûre, GiedRé veut ébranler l’indifférence et l’aveuglement volontaire qui de tous temps se sont faits complices des injustices les plus révoltantes. Ses chansons s’écoutent avec un demi-sourire et malgré la gravité des propos, la lourdeur n’est pas au rendez-vous. Oreilles puritaines s’abstenir…

Site officiel de GiedRé

François Martel
animateur Vinyle en 1000 morceaux

CIBL 101,5

gienre