Pour une deuxième année consécutive, la Fierté littéraire, initiative du journaliste et écrivain Denis-Martin Chabot, réunissait pendant quatre jours des écrivains LGBT autour de différentes thématiques, tables rondes, micro ouvert, etc. Cette année, l’invité d’honneur était nul autre que Michel Tremblay. Interviewé par Denis-Martin à la Cinémathèque québécoise, on a pu voir un Michel Tremblay alerte et volubile qui s’est entretenu avec le public pendant près de quatre-vingt-dix minutes.
Dès ses Contes pour buveurs attardés, écrits en 1958 alors qu’il était adolescent, les personnages gais apparaissent dans son œuvre. Pourtant personne ne lui a posé de question sur sa propre homosexualité avant qu’un journaliste anglophone ne le fasse en 1975. Peu après, il a été invité à l’émission de Réal Giguère à Télé-Métropole où le sujet a été abordé la première fois en milieu francophone. Avant le milieu des années 1960, il régnait au Québec un silence autour de certains sujets dont l’homosexualité, souligne-t-il.
Monsieur Tremblay n’a jamais considéré, en tant qu’artiste, que c’était un devoir d’aborder l’homosexualité mais plutôt un besoin. Un adolescent sans problèmes ne deviendra jamais artiste, ajoute-t-il. Le processus de création commence avec le besoin de se confier à la page blanche. L’idée de publier ne doit même pas effleurer l’esprit au début, sinon il y a risque d’autocensure. Il faut parler, écrire pour soi-même, pour comprendre le monde.
Dans son roman Quarante-quatre minutes, quarante-quatre secondes, le quatrième tome de la série Le Gai savoir, il met en scène un héros peu sympathique, cause selon lui du peu de succès de ce livre. Dans le premier tome, Le Cœur découvert, où Jean-Marc se laisse séduire par Mathieu, il souhaitait non pas faire de l’homosexualité le sujet du livre mais plutôt faire avouer au lecteur que le fait qu’une histoire d’amour soit entre deux hommes n’avait pas d’importance.
C’est suite à une grande peine d’amour qu’en 1991, sur les conseils de Marie-Claire Blais, qu’il a séjourné à Key West et a repris le goût à l’écriture. Le Cœur éclaté, écrit en 1992-93, aborde le thème du sida, soit plus de dix ans après que cette maladie soit nommée. Si ce sujet a pris tant de temps à apparaître dans son œuvre, c’est qu’il ne voulait pas parler du sida à travers la colère. Il se rappelle avoir vu sur le bord de la mer un vieil homme guidant un jeune aveugle et lui décrivant le paysage. Cette scène l’a marqué car il l’avait trouvé tellement belle. Un peu comme l’inverse de ce qu’on s’attend à voir, soit un jeune conduisant un vieillard. Sans doute ce souvenir l’avait inspiré.
Revenant en arrière, en 1971, Michel Tremblay aborde En Pièces détachées, sa première pièce à être jouée à la télévision. Il avait vécu avec beaucoup d’appréhension la réaction de sa famille. Par la suite, se souvient-t-il en riant, sa tante Robertine lui avait déclaré qu’elle avait passée toute sa vie à se confesser à des curés qui ne la comprenaient pas pour finalement découvrir qu’elle avait un neveu qui, lui, la comprenait.
C’est en écrivant Les Belles-sœurs, sans doute sa pièce la plus célèbre dans le monde, qu’il s’est découvert une passion pour le joual. Mettre des femmes en scène ? Tous les humains ont des informations sur les autres, affirme-t-il. Nous sommes donc capables d’imaginer être quelqu’un d’autre. Surtout qu’il a vécu pendant dix ans seul gars avec quinze lesbiennes. On peut s’incarner à travers les autres, mais il faut savoir écouter, vertu rare de nos jours.
Dans un de ses derniers textes où il met en scène un adolescent en 1959 et un autre en 2009, il considère qu’il y a beaucoup de points communs entre ces deux adolescents lorsque que vient le temps de confier à ses parents son homosexualité. La détresse d’une mère préférant voir son fils hétérosexuel est la même de nos jours. Toutefois, une société trop permissive est moins intéressante du point de vue du créateur, constate-t-il.
Aux questions du public, il répond qu’il a depuis longtemps abandonné le cinéma. Il y a trop de fonctionnaires ignorants qui empêchent un projet d’avancer. Sur son processus créateur, même si certains personnages peuvent lui suggérer des avenues, il considère qu’il doit tout savoir avant de s’asseoir à sa table de travail. Il n’écrit jamais de résumé. Il part d’un sujet, crée des personnages puis invente une histoire.
Il est difficile dans le cadre d’un article de résumer une discussion souvent à bâtons rompus comme celle-ci. Michel Tremblay, vif et humoristique, s’est comporté en vrai prince charmant. Cette fut une rencontre riche et agréable.
[Photo : Michel Tremblay et Denis-Martin Chabot lors de la séance de signatures.]