Délivré de manière surprenante par Anne-Marie Cadieux et Évelyne Rompré, Lumières, lumières, lumières est un texte touchant écrit par Évelyne de la Chenelière et mis en scène par Denis Marleau. Abordant la mort, l’amour, le rapport entre les sexes, le désenchantement, et ce dans le style de « flux de conscience » de Virginia Woolf, le spectateur passe par une gamme impressionnante d’émotions.
Adaptation du roman Vers le phare de Virginia Woolf paru en 1927, l’histoire se déroule au début du siècle dernier et met en scène deux femmes complètement différentes; Mme Ramsay et Lily Briscoe. La dualité des protagonistes nous fait voir deux archétypes des femmes de cette époque. Mme Ramsay recherche l’accomplissement personnel dans la famille et son mariage tandis que Lily tente de se faire valoir en tant qu’écrivaine, peintre et intellectuelle avant tout. L’histoire qui entoure ces deux personnages est surtout un prétexte pour présenter leur caractère respectif. Le récit avance tout de même, voyant l’évolution des personnages, présents ou non sur scène, et combien tout a changé en dix courtes années.
Le texte est, bien sûr, une adaptation du roman de Woolf, mais présente aussi plusieurs réalités de l’époque. Une critique sociale se distingue clairement, même si le texte se veut une fiction avant tout. Les échanges, écrits de manière remarquable par Évelyne de la Chenelière, sont principalement des incursions dans l’esprit de Mme Ramsay et de Lily.
Cette technique que Virginia Woolf a aussi beaucoup utilisée, est appelée « flux de conscience ». Cette manière de présenter les personnages et leur histoire permet une compréhension approfondie de leur manière de percevoir ce qui les entoure. De longues répliques de chacune des actrices présentent le rôle accordé et imposé à la femme de l’époque ou encore critique l’élite intellectuelle, et ce avec une pointe d‘humour noir savoureuse. Conscientes de toutes ces inégalités et ces exigences, elles se conforment tout de même à ce qui est attendu d’elles. La pièce présente une histoire émouvante et vraie, mais surtout l’abime présent entre la jolie mère de famille et la femme intellectuelle et mécomprise.
Le décor, pour sa part, brille par sa simplicité. Dès les premières lignes, on pourrait croire que cette apparence détonne, mais elle ne fait que mettre en valeur le texte et toutes ses subtilités. La scène est composée de quelques barres de métal, de pans de vitre transparente et d’une projection continue sur le mur du fond.Les actrices et leurs mouvements permettent de comprendre l’action sans même qu’elles aient recours à des accessoires. Leurs déplacements fluides, parfois synchronisés, parfois inexistants, sont évocateurs et nous laissent entrevoir la réalité qui forme les alentours et qui nous est pourtant invisible. Le travail de Marleau est remarquable et va au-delà de ce qui est présent sur scène.
Le duo De la Chenelière-Marleau, est assurément gagnant. Les paroles se greffent au mouvement pour former dans l’esprit du spectateur un récit ainsi que des émotions fortes. Le jeu des actrices n’y est certainement pas pour rien, nous transportant, pendant la courte heure de la pièce, dans un univers tout autre.
Lumières, lumières, lumières est présenté à l’Espace Go jusqu’au 6 décembre.