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Pour le poète, c’est alors l’entrée dans le monde de la poésie. « Pour moi, ça été mon introduction dans le milieu poétique, dans le milieu artistique concret. » L’univers de la poésie underground de Montréal finit par devenir sa deuxième maison. « Je me suis fait des blondes dans le milieu. J’ai rencontré toutes sortes de monde, des gens fuckés, parce que y’en a plein dans ce milieu-là ! » Toujours saoul, le poète se promène se soirée en soirée, faisant des lectures dont il ne se souvient parfois rien.
De fil en aiguille, la volonté de publier s’intensifie chez Yvon Jean. Baignant dans l’univers de la poésie underground, il finit par envoyer des manuscrits à diverses maisons d’édition. « J’envoyais des manuscrits, j’ai été refusé à 14 reprises ! Mais, il faut dire, j’envoyais des photocopies de mes manuscrits, des torchons ! Mais même avec ça j’ai réussi à me faire lire par des comités de lecture ! J’en suis fier ! »
Arrive alors l’éditeur Claude Hamelin, qui s’occupe des éditions Teichtner. « C’était l’éditeur d’Éric Roger, que je considère comme étant un vrai génie. Il lui avait donné une chance, parce que lui aussi était dédaigné des grandes maisons. Ce monsieur-là, Claude Hamelin, avait grandi avec Claude Blanchard, Gilles Latulippe et Fernand Gignac. Il avait abouti en poésie après une brillante carrière, un peu pour réaliser un rêve. Finalement il a décidé de me publier. Il m’a dit : ‘’ Toi, tu es comme un Duster 340 pogné dans la bouète, je vais te sortir de là ! »
Malgré les soirées de poésie qui deviennent peu à peu sa raison de vivre, ainsi que la publication d’un premier recueil de poésie, le poète s’enlise dans un problème allant toujours plus en s’aggravant. « J’allais de plus en plus loin. Je continuais à travailler, mais j’avais commencé le fort. Jusqu’à deux 40 onces par jour. En plus d’un minimum vital de 4 grosses bouteilles de bière 10 % quotidiennes. En 2008, après quelques succès, dont 3 notes parfaites lors d’un slam au Patro Vis, j’ai essayé d’arrêter de boire par moi-même. Je me suis ramassé à l’hôpital, en delirium tremens. Je voyais des choses qui n’existaient pas. Ça c’est quand je ne tombais pas, en sang dans ma chambre, en crise d’épilepsie. En 2008 j’ai été hospitalisé 50 fois ! »
Malgré tous les projets auxquels il participe, émissions de radio, concours, festivals, soirées de poésie et de slam, Yvon Jean finit par toucher le fond du baril. En 2008, il se rend bien compte qu’il est alcoolique au dernier degré. « Sur une échelle de 5, j’étais à 5 dans le tapis. Le personnel de services de santé était dépassé par mon cas. » Il essaie de faire des sevrages par lui-même, mais toutes tentatives se soldent par des échecs. Il finira par perdre son travail au garde-manger, après 22 ans de services. « J’ai perdu mon travail, mon studio, tout. Personne ne se doutait que j’étais alcoolique. Tout le monde a été estomaqué, même à mon travail. J’ai fait 3 semaines de désintoxication. Puis à la sortie on ne voulait plus de moi. La conseillère avait dit que j’avais un taux de rechute de 100 %. Je me suis retrouvé sur l’aide sociale, avec un chèque de chômage. J’avais 3 ou 4 milles dollars. Je suis parti sur la go. Retourné vivre sur les bancs de parc, en buvant mes deux 40 onces de whiskey quotidiens. Je faisais des black-outs tous les jours. Puis au 10-15 jours, j’étais hospitalisé. »
C’est deux ans et demi de vie de souffrance que vivra encore Yvon Jean. Il vit pauvrement, profitant des diverses ressources communautaires pour se nourrir. Mais sa vie est entièrement vouée à l’alcool et à la poésie. Il arrivera à un moment où la boisson aura atteint ses nerfs. Il en garde aujourd’hui des séquelles, dont une main qui est en permanence engourdie. S’en allant vers la démence alcoolique, plus capable d’écrire, ni à la plume, ni au clavier, il devra complètement cesser de boire en novembre 2012. « J’avais cette rage, cette rage de vivre. Fuck the World ! Vous m’aurez pas mes sacramans ! Je me retrouve avec une nouvelle attitude d’enragé, je ne veux plus avoir peur du monde. Je me suis remis aux projets pour arrêter de boire. J’ai commencé la web-télé, recommencé à faire des soirées de poésies, à en organiser. C’était important pour moi de faire des soirées conviviales, chaleureuses. Je voulais faire de la poésie pour les bonnes raisons. Donner la chance aux autres. Je me suis mis à croire que le respect, c’est winner. Je le fais pour aider des gens. La poésie m’avait aidé, parce que ça peut changer la vie de quelqu’un de lui permettre de s’exprimer. »
Cet entretien avec l’homme et le poète Yvon Jean s’est avéré être un catalyseur fantastique pour l’image que je me faisais déjà du conteur. Je vois maintenant d’où provient la fureur palpable de ses poèmes. On reconnait aussi un homme près de ses racines ; parfois même trop près, ce qui la toujours mené à ne pas vouloir « être la somme des boulets de [ses] parents. » C’est un grand cœur qui fait que l’homme Yvon Jean permet aujourd’hui aux autres de profiter de son expérience, un grand cœur forgé par beaucoup d’épreuves douloureuses. Aujourd’hui, avec Éric Roger, il constitue un des piliers de la poésie underground de Montréal, avec ses nombreuses implications. Cette année, il a sorti un second recueil de poèmes, tout en joual, « Au pic pis à pelle » aux éditions de la Première Chance. Un troisième est en route. Il y en aura certainement d’autres, puisque la production poétique d’Yvon Jean est colossale ; une des plus grosses actuellement produite au Québec.
Avant de terminer mon entrevue, j’ai demandé à Yvon Jean ce qu’il avait à dire de la poésie. Il m’a répondu, sans y songer une seule seconde : « La poésie c’est l’ultime forme d’art. La plus démocratique qui soit parce que ça ne prend que des lettres, une feuille et un crayon. Pas besoin de matériel couteux, ni même de technique faramineuse : tout le monde peut écrire un poème. C’est accessible. Tu peux même te faire de la poésie dans ta tête si tu veux. Et c’est comme ça, selon moi, que tu peux naître à la face du monde. Et ce que je veux moi, c’est la révolution poétique. Amener du monde avec moi ! »