[Ceci est une nouvelle mouture du texte publié dans le magazine BAZ.]
Elle dira que c’est une recherche active de ce qui a pu naître à priori ; que c’est d’inverser l’usure du temps par le biais de médiums stratigraphiques. Mais pour aborder plus largement le travail de Diana Polizeno, baccalauréat en arts visuels de l’UQAM, il y a certaines généralités que l’on peut saisir simplement, pour notre plaisir.
Commençons par le début : nous avons affaire à des personnages, des femmes — les hommes ne sont toujours qu’un support, un amplificateur de la féminité. Les femmes enceintes des premiers tableaux sont toutes en mal être ; des parties de leur corps sont manquantes et certaines de celles qui restent sont atrophiées. Leur mécanisme humain est dysfonctionnel, tout dépendant de leur état d’âme. Les femmes dédoublées sont nées de ces femmes enceintes.
La ligne et le dessin sont à la racine de son exploration artistique (à noter qu’elle amorce parfois ses canevas par le noir). Sachant maîtriser son sillon, elle lui a d’abord fait faire des dizaines d’entrelacs, de tournis et de voyages. Par cette ligne excitée qui va sans cesse d’un bout à l’autre du corps représenté, elle crée une dualité intérieure. L’opposition du haut et du bas polarise le corps : en bas il y a ce qui retient au sol, les pieds, il y a la mécanique intestinale qui est fonction animale et primitive ; en haut il y a l’esprit, il y a ce qui s’élève et ce qui tend vers l’émancipation.
Maintenant que cette dualité est établie, il est plus aisé pour nous de comprendre le dédoublement. Dans la peinture figée, elle a la capacité d’évoquer le mouvement, donc le temps, avec l’économie que pourrait avoir un Ku-K ’ai-Chih — l’allusion à la peinture chinoise n’est pas fortuite. La question est donc : dans les personnages dédoublés, souvent des danseuses — qui grimpent parfois jusqu’au nombre de trente —, est-ce une multitude personnages ou un même personnage disséminé dans le temps ? Nous ne devons pas donner réponse à cette question. Peu importe : ne sommes-nous donc pas toujours différents, tout dépendant d’où nous sommes situés dans le temps?
Panorama graphique
C’est d’abord par le dessin, dans de nombreux cahiers, que se développe le travail. La ligne domine la forme. La forme émane du dédale d’entrelacs fourni par le jeu des lignes qui se répercutent et finissent par arguer les volumes ; les volumes ne sont que murmurés.
C’est un exercice intéressant, avec le travail de Diana Polizeno, de transcender le sujet par la surface, dans la tapisserie abstraite du tableau. Nous considérons alors les personnages, ou autre, comme étant des « taches », dénuées partiellement de l’iconographie qu’elles allèguent. Ces taches sont construites organiquement par de multiples formes, volumes, lignes, corps, textures et masses-objets. Tout est inclus dans le tableau à la manière des notes harmoniques dans une pièce musicale.
Pour l’avoir vue à l’œuvre, chaque détail apporte son prochain, souvent à l’autre extrémité de l’image. Elle équilibre la surface, et ne manque pas de moyens pour y parvenir. Notons ici qu’elle achemine l’unité de sa « tache » graphique — le résultat graphique dépouillé de l’iconographie — en utilisant la ligne et la forme, mais aussi la couleur, le fini de l’acrylique, le relief, la laque et les différents médiums (collages, inclusions de textures ou d’objets, etc.).
Nous n’avons abordé ici que quelques-unes des facettes de la peinture de Diana Polizeno. Nous n’avons hélas pas eu le temps de remarquer la polyvalence de son art : les cadres qu’elle exécute en ciment blanc, ses moules, les œuvres sur papier, les marouflages, les abstractions et les expériences. De toute façon, notre but ici n’était pas de faire l’analyse de son travail, mais bien de donner deux ou trois outils simples pour qu’un amateur puisse mieux apprécier les tableaux. Nous voulons en dire juste assez pour que le spectateur puisse ensuite prendre le relais et poursuivre son impression.
[Page Facebook de l’artiste.]