CECI

« Hé hé good mornin’ », il m’a envoyé. Et j’ai décidé de répondre « Morne Inc. », pour faire drôle. Puis nous nous sommes retrouvé à dire que « More Ink » ferait un très beau nom pour une maison d’édition anglophone. Ça faisait un bout que nous ne nous étions pas parlé — un ami qui s’occupe de lettres, lui aussi. Alors nous avons parlé poésie. J’ai fini par lui citer du Laurent Albarracin parce que je m’étais dit que ce serait chic de lui citer du Laurent Albarracin. Ensuite, nous avons bifurqué vers Miron, parce que je venais de finir l’Homme rapaillé, mais surtout ses « recours didactiques ». En gros nous en sommes venu au fait que Miron n’a pas digéré le dilemme de la langue québécoise. Le pauvre. C’est lorsqu’on lit ses « recours didactiques » qu’on se rend compte que l’homme Miron était tiraillé par le problème de la langue au Québec et par le statut de la littérature québécoise au-devant des autres littératures — mais particulièrement devant cette littérature reine pon-pon qui nous obnubile et obnubile probablement toute la francophonie ; je parle bien sûr de la littérature française.

Miron vivait cette réalité avec un mal étrange. Le CECI des notes sur le non-poème et le poème — « Je parle de CECI. Ceci, mon état d’infériorité collectif ». « Je hurle dans mon harnais… ma culture polluée… » — « Les mots méconnaissables qui flottent à la dérive. » — Pea soup, Pepsi, Frog, dam Canuck, dishwasher, bastard, cheap, sheep… il ne manque pas de mots, le pauvre Miron, pour nous dire à quel point le dilemme de la langue au Québec le blesse, lui fait mal, l’empêche même de créer parce que pendant un moment il cessera d’écrire — trop épouvanté par l’état de notre littérature.

« En proie à la perversion sémantique à l’échelle de toute une langue… ». Miron faisait face à problème que doit affronter toute personne qui s’adonne à l’acte d’écrire dans le Québec.

Quelle langue dois-je parler ?

Français de l’Académie, français international, joual ? Et la décision n’est pas facile à prendre. Parce qu’il faut prendre une décision ou arrêter d’écrire. Et dieu sait que la décision que l’écrivain prend trace une bonne partie de son chemin.

Certes, la littérature française rayonne sur toute la francophonie. Il y des noms rutilants pour la soutenir. Après tout, elle a eu droit à Stendhal, Montaigne, Lamartine, Hugo, Balzac, Proust, Gide, Sartre pour ne nommer que ceux-là. Le capital de sympathie est assez franc, admettons-le.

La littérature française atteint les littératures de toute la francophonie, parce que, justement, elle rayonne comme un phare que les jeunes auteurs se doivent d’avoir à l’œil s’ils souhaitent se rendre à bon port un jour. Ce monopole de la culture littéraire française entretient un vide, un néant chez les autres cultures francophones, donc chez nous au Québec.

Il y a là le non-poème.

CECI.

La langue colonisée.

Miron s’est senti seul. « J’ai mis quatre ans à gagner sur moi. », écrit-il dans ce texte endiablé qu’il a fait en ’65 : « Un long chemin ». « Ma confrontation avec l’Europe, en 59-60, finit par vaincre définitivement mes résistances et mes doutes humanistes-démocratiques-pacifistes-universalistes-etc. » — « Une fois que j’eus assumé ma condition de colonisé, […], que je l’eus revendiquée et retournée en une affirmation, j’estimai, face à l’écriture, que la seule attitude convenable résidait dans le silence, forme de protestation absolue… » — Perturbé par « une société aliénée à elle-même, à sa langue, donc à son potentiel humain, en plus de l’aliénation prolétarienne qui pèse sur l’homme en général », Miron s’occupa du problème politique pour éviter d’écrire et de pense à la littérature québécoise.

Je pense que Gaston Miron a échoué son navire sur ce récif.  Cela l’a ravagé.

« C’était viscéral chez lui, il ne prenait pas notre statut et notre langue de colonisés. » ai-je fini par dire à mon ami.

Puis nous avons parlé de Gérald Godin.

[Lire la suite. - Lire aussi cet autre article sur Gérald Godin par Simon DuPlessis.]