Stéphan Bujold
Collaboration spéciale
C’était le 22 novembre 1963. Il faisait beau et le président Kennedy était l’invité du gouverneur Connally du Texas, un autre démocrate. Ayant accédé à la présidence moins de trois ans auparavant avec à peine 50 000 voix d’avance sur son rival républicain, le non moins célèbre Richard Nixon, le 35e président des États-Unis était déjà en campagne électorale dans les rues de Dallas. Il était beau et jeune, les caméras l’adoraient, tout comme sa femme Jackie d’ailleurs. Mais leur rêve américain tirait à sa fin… Vers 12 h 30, trois coups de feu retentirent dont un qui atteignit mortellement le plus jeune président de l’histoire américaine.
Depuis ce jour, les théories sur cet assassinat politique font rage. On sait maintenant que Lee Harvey Oswald, un ancien tireur d’élite de l’armée américaine, est bel et bien le meurtrier de Kennedy, mais l’on ignore toujours qui étaient ses complices, ses commanditaires puisqu’il fut assassiné quelques jours plus tard emportant avec lui son terrible secret. Le prédécesseur de Kennedy, Dwight D. Eisenhower, dans son dernier discours présidentiel a prévenu l’Amérique de se méfier de ce qu’il appela le complexe militaro-industriel dont il redoutait la puissance grandissante dans le contexte de la Guerre froide avec l’Union Soviétique. Il avait été le commandant victorieux des forces interalliées en Europe de 1944 à 1945. C’est dire comme il savait de quoi il parlait et il fut l’un des plus populaires et respectés présidents américains. Il n’en fallait pas plus pour que les soupçons se tournent vers cette menace identifiée par un homme respecté, respectable et bien loin d’être paranoïaque. Surtout que le pouvoir présumé de ce conglomérat était et est toujours pour le moins gigantesque. L’autre thèse la plus répandue braque les projecteurs sur la puissante mafia américaine qui avait financé en partie la campagne de Kennedy. Entre catholiques, il était tout naturel de s’aider, Kennedy fut effectivement le premier et le seul président catholique de l’histoire américaine. Les deux thèses ne s’excluent d’ailleurs pas mutuellement. Personnellement, je pense que l’on ne saura peut-être jamais la vérité dans cette histoire d’assassinat politique, comme dans bien d’autres du même genre, et plus le temps passe, plus les chances de connaître la vérité s’envolent en fumée.
Au-delà de toutes ces controverses, il n’en reste pas moins que JFK est sans doute le président américain le plus universellement connu bien qu’il n’aille même pas complété un mandat de 4 ans. Issu d’une riche famille démocrate de Boston dont le père avait été ambassadeur en Grande-Bretagne et qui ambitionnait que sa progéniture occupe les plus hautes fonctions de l’État américain. Famille au destin pour le moins tragique, Jo Jr le frère aîné de John est tombé au champ d’honneur pendant la Deuxième Guerre mondiale, Bobby un frère cadet candidat démocrate à la présidentielle de 1968 a aussi été assassiné dans des circonstances nébuleuses, sans compter Arabella et Patrick morts peu de temps après leur naissance, John Jr qui mourut dans un accident d’avion, tous trois les enfants de Jacqueline Bouvier et John F., les Kennedy marquent indéniablement l’imaginaire collectif non seulement des Américains, mais de la planète entière.
Mais tout ceci relève en quelque sorte de ce que les Américains appellent le human interest et les Québécois du potinage. Au plan politique quel est donc l’héritage de JFK? À vrai dire, il est bien mince. En politique américaine, un président ne peut faire grand-chose en un mandat. Imaginez en moins d’un mandat! Au plan international, Kennedy n’a pas su préserver les Amériques de l’influence soviétique en n’arrivant pas à négocier avec Castro. Avec l’échec de la Baie des Cochons et la crise des missiles d’octobre, la Guerre froide n’a jamais été aussi proche de devenir une vraie guerre dont l’issue aurait pu être fatale pour l’Humanité. Au plan intérieur, on lui attribue souvent la reconnaissance des droits civiques des noirs, ce qui est tout à fait faux. Sans doute était-il sympathique à cette cause, mais il n’a pas eu le temps de faire quoi que ce soit dans ce sens et sa présence même au Texas visait justement à calmer les inquiétudes des blancs du Sud en vue des élections présidentielles de novembre 1964.
Bref, sa famille, ses relations et sa personnalité bien davantage que sa présidence valurent à Kennedy de personnifier en quelque sorte le rêve américain, mais la réalité est que sa mort tragique en a fait un mythe universel et intangible qui se confirme et se consolide en ce jour où l’on en commémore le 50e anniversaire. Lorsqu’un roi de France décédait, ses sujets avaient coutume de s’écrier « Le Roi est mort, vive le Roi! » ce qui concrétisait à la fois la pérennité des institutions politiques par l’avènement du successeur au trône et le mythe du souverain décédé… C’est en quelque sorte ce qu’il advint à la suite de la mort tragique de John Fitzgerald Kennedy.