Lettre de suicide… artistique

stephane cadoretteStéphane Cadorette
Collaboration spéciale

OK, c’est la fin. 

Être artiste du deuxième et troisième art, ça craint…

Naïf, je croyais vivement au jour où mon travail serait reconnu. Malgré les expositions, les publicités et tout cet argent donné contre un peu de visibilité, je restais dans l’ombre des géants. Invisible, je tournais tel un hamster dans la roue du silence. Personne ne parlait de moi, donc personne ne me connaissait. Personne ne me connaissait, donc personne ne parlait de moi.

Évidemment, vous me direz, il ne fallait pas se leurrer. Le monde de l’art visuel, c’est la jungle. Des milliers d’artistes aussi talentueux qu’affamés de reconnaissance, se tiraillent le peu d’intérêt accordé à cette discipline. Même si certains sont prêts à tout sacrifier pour y arriver, le prix de la rançon n’est guère plus glorieux. Les chemins sont hasardeux et il faut y investir temps et argent, se plier aux exigences des galeries et des agents, peindre des œuvres rentables et accessibles au public, produire en série et, au bout du compte, diluer son travail artistique pour plaire à ce marché aseptisé. Tout cela pour une redevance bien au-dessous du seuil de la pauvreté.

Mais quelle attente avais-je donc? En fait, je croyais simplement que je réussirais à captiver et à intéresser là où les autres n’ont pu le faire…Pfffff, mais qu’elle prétention de ma part, car n’est-il pas vrai de dire que de nos jours, peu de gens s’intéressent véritablement à l’art visuel. Faites en vous-même l’expérience. Frappez à 10 portes au hasard et posez cette question : nommez-moi un sculpteur et un peintre Québécois. Les rares personnes à pouvoir vous répondre vous diront : Armand Vaillancourt, Jean Paul Riopelle, Corno ou Zilon, peut-être même, pour les plus érudits Paul-Émile Borduas, mais sans plus. 

Combien de fois ai-je entendu cette phrase pour justifier ce manque d’intérêt : « Je ne connais rien à l’art visuel. » Heuuuu!!! Faut-il savoir lire ou jouer de la musique pour l’apprécier? C’est pourtant la même chose pour l’art visuel. Quand une œuvre nous touche, il n’y a rien à comprendre, nous nous l’approprions sans nous poser de question.

En réalité, la culture n’est plus valorisée et pour la plupart des gens, l’art visuel n’est qu’un simple superflu frivole dans un monde obnubilé par le « fast ». Par exemple, le programme gouvernemental de l’intégration des arts à l’architecture, pour lequel j’ai réalisé plusieurs sculptures, est sans cesse critiqué par la population ainsi que par les architectes qui voient leur budget amputé de 1 %. Pourtant, personne ne réalise qu’une ville, une province, un pays, c’est comme une maison; elle est à l’image de ce que nous sommes et de ce que nous voulons projeter. Elle représente nos origines et notre histoire. Comme les racines qui nourrissent l’arbre, l’art nous permet de grandir, d’évoluer en nous liant solidement à notre culture.

Malheureusement, le monde de l’art visuel demeure méconnu du grand public. Il est perçu à tort comme un milieu clos réservé aux élites intellectuelles et aux gens plus aisés (héritage de l’institution monarchique, j’imagine). Non seulement les médias en font trop peu la promotion, mais notre propre gouvernement ne cesse de couper dans le budget de la culture. Le résultat est que nous, les artistes, suffoquons sous le poids de cette non-reconnaissance.

Ironiquement, via internet, l’art visuel n’a jamais été aussi accessible qu’aujourd’hui. Généralement pas plus dispendieux qu’une collection de titres de musique ou d’un téléviseur dernier cri, des œuvres modernes aussi impressionnantes qu’originales n’attendent plus que vous pour se faire voir. Hypothétiquement, si chacun possédait une de ces œuvres ou se déplaçait au moins une fois par année pour aller admirer le travail de nos artistes d’ici, la culture et l’intérêt pour celle-ci ne pourrait qu’être rehaussés et enfin mis de l’avant. Mais c’est beaucoup trop idyllique, je m’amuse à rêver en couleur.

Toutefois, si les rêves peuvent devenir réalité, et que par miracle cette lettre vous donne un tantinet envie d’en savoir plus, une simple recherche sur Internet vous proposera des galeries virtuelles représentant des milliers d’artistes québécois. Le magazine Décover, distribué dans la région de Montréal ou sur abonnement, vous fait découvrir ceux-ci dans un format haut en couleur. Le Festival international de Montréal en Arts (FIMA), qui présentera sa 15e édition en 2014, demeure un incontournable. Sans oublier les galeries comme 106U et Zéphyr, qui vous accueillent chaque mois dans leurs locaux pour vous faire découvrir ces artistes d’aujourd’hui.

Voilà mon dernier souffle… C’est l’heure, mon combat s’achève, l’effort n’en vaut plus la peine. J’ai voulu être cet artiste qui changerait la perception des gens. J’ai voulu vous impressionner, vous faire penser, j’ai voulu vous faire voyager dans mon imaginaire, j’ai tant voulu… J’ai trop voulu et j’ai oublié ce que j’étais et ce que je voulais réellement, j’ai hypothéqué mon âme artistique pour servir des intérêts futiles. Alors ce point de non-retour qu’est la mort artistique, signifie pour moi la fin de ce cycle. Ce besoin d’impressionner et de captiver votre attention n’est plus. Ainsi je pourrais enfin renaître de mes cendres, libre du jugement des autres, libre d’oppressions, libre de la compétition, libre du monde… LIBRE !!!

Cette mort sera marquée par une dernière exposition dans les rues de Montréal. Plus d’une trentaine de toiles (d’une valeur nominale de plus de 30 000 $) seront exposées à plusieurs points de ramassage lors de la collecte des déchets. En silence et sans un mot je déposerais celle-ci comme une partie de moi que je laissais partir.

Sur ce, adieu… (artistiquement parlant)

CadO (Stéphane Cadorette)

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Page Facebook de Stéphane Cadorette.

Article de Nathalie Petrowsky.

Lettre de Danielle Bouchard à Nathalie Petrowsky.