Zïlon à contre-courant

En ce froid glacial de début janvier, je me rends chez Zïlon dans son appartement du dix-septième étage donnant sur le Parc Lafontaine. Il a dû quitter l’an dernier son appartement qu’il habitait depuis quatorze ans car ce dernier allait être transformé en condo.

« J’ai choisi cet appartement car je devais avoir un contrat avec une galerie m’assurant un revenu de base », souligne-t-il. En ce début de 2014, aussi surprenant que cela puisse être, Zïlon n’est attaché à aucune galerie.

Né à Montréal en 1956, il a passé son enfance à Laval, à Sainte-Rose plus précisément, non loin du motel Idéal, propriété de son parrain. Il a un frère de plusieurs années plus jeune que lui. Son père était alcoolique et violent, physiquement et verbalement. Ses parents ne se sont jamais divorcés mais, des années plus tard, son père a vécu avec une maîtresse tandis que sa mère a préféré vivre seule.

 «Je me suis toujours senti comme pas voulu. Je me souviens de soirées où mon père arrivait alcoolisé au maximum aux petites heures du matin. Mon père, après avoir eu des mots très durs envers ma mère, lui disait va chercher les deux chiens en haut en parlant de ses enfants au deuxième étage.» À 57 ans ces mots lui résonnent encore dans la tête. Ils se retrouvaient en pyjama à 3 heures du matin, alors qu’ils avaient de l’école le lendemain, à le regarder ingurgiter sa Xème bière en vomissant des mots de haine. Il lui reste un sentiment d’insécurité, d’abandon, un sentiment qui lui revient à chaque fois que quelqu’un le laisse tomber sans explications ou ne respecte pas ses engagements. Son père est décédé vers 2000, il continue à communiquer avec son frère et sa mère mais leurs relations sont superficielles.

L’art est devenu très vite un refuge pour lui. Il a commencé très jeune à dessiner sur des feuilles, lui permettant de quitter ce monde et, à travers cette fenêtre, se réfugier dans une autre réalité.

La solitude est un trait de Zïlon. « On me croit toujours occupé à de grandes soirées mondaines, de grandes invitations. J’ai beaucoup de connaissances mais peu d’amis. J’ai été mal nourri au point de vue affectif. J’ai eu des chums, deux relations qui ont duré environ cinq ans mais ça aurait pu être un an et tout aurait déjà été dit. J’ai eu l’impression que certains cherchait le Zïlon sugar daddy. J’ai toujours aimé le look mauvais garçon, mais je me suis retrouvé quelques fois avec des mauvais mauvais garçons.»

L’art devient un havre, une thérapie. « Ça m’a permis de passer à travers de très mauvais moments. Ma créativité, je m’en sers même si c’est juste pour moi. » Comme dans des périodes comme aujourd’hui où il n’a pas de projets en vue.

« J’ai des idées pour les fins et les fous. Je carbure aux projets. Mais dans des moments comme aujourd’hui où je parle à des sourds qui ne veulent rien entendre ou que je montre à des aveugles qui ne veulent rien voir… trop de peut-être… Mais il y a des moments magiques, comme Givenchy l’automne dernier. Le designer de Givenchy parfum m’a rencontré en 2005. Cet automne, j’ai été à Paris, j’ai été bien traité. Il n’y avait pas de divas, tout le monde était traité sur un pied d’égalité. Un moment merveilleux. »

L’ère PUNK

Après Sainte-Rose, son père a eu un meilleur emploi et la famille a déménagé à Laval-des-Rapides. La violence a suivi. Mais c’était aussi le début des années glorieuses, nous sommes rendus vers 1975, avec les Sex Pistols, les visites chez le disquaire L’Alternative, face au Théâtre Saint-Denis. « C’était une époque éclatante pour Montréal avec les Kraftwerk, les Talking Heads, les Sex Pistols, les night-clubs  qui ouvraient, le Limelight, le Buds, le Jardin. Les gens étaient beaux, intéressants. C’était ma découverte du monde gay, mes premiers chums, mes premières baises. Et le retour à Laval dans des états alternatifs. À cette époque, je m’étais acheté des synthétiseurs analogues et je créais de la musique. » Comme il le souligne, il n’a aucune formation musicale mais une belle oreille pour détecter si ça sonne bien.

Au début des années 1980, il créait des atmosphères musicales, des concepts visuels. « Je suis entré dans des galeries alternatives et expérimentales comme Véhicul’Art, j’ai rencontré Monty Cantsin dans ses débuts hippies. J’avais une coupe de cheveux qui effrayaient les gens de Laval à l’époque. J’ai fait des vidéos…» Quand sa mère s’absentait pour aller au bingo, il réunissait des amis dans son garage, Jean-Luc Bonspiel, Tristan Renaud et compagnie. Le garage était aménagé en atelier avec synthétiseurs, batterie de cuisine et ils créaient de la musique hallucinante. Son nom punk de l’époque était Lazer Dog.

« Nous avons faits des performances, des installations dans des endroits comme Véhicul’Art, appelés Projets urbains. On en a vu des vertes et des pas mûres. Il y avait une effervescence que je ne retrouve pas beaucoup en 2014. » C’était aussi des années formatrices en arts visuels. Il achetait des livres de Van Gogh, de Picasso et apprenait la peinture uniquement en regardant le visuel. « Je suis capable de faire de l’hyperréalisme, de l’abstrait. Mon langage, je me le suis construit en regardant les images des autres. Mon style, je l’ai découvert par accident en me brisant la main droite en faisant une performance avec Cantsin. J’ai commencé à dessiner avec la main gauche et ce fut comme une révélation, un coup de foudre. » C’est le début du style Zïlon. C’est l’époque où l’on commence à voir ses graffitis dans des endroits comme l’ancien K.O.X. « Je vivais en mangeant du Kraft Dinner en cohabitant avec 4 ou 5 personnes souvent alcooliques ou droguées.»

Le Clochard céleste, rebaptisé plus tard les Foufounes électriques, le Tarot quant à lui renommé le Garage furent des lieux de découvertes, autant sexuelles qu’artistiques. C’étaient aussi ses premières galeries improvisées, en particulier les Foufounes, qui n’occupait que le deuxième à l’époque, et qui fut le haut-lieu de la peinture en direct. Des groupes se créaient spontanément, tel Sensitive Organ. Ils ramassaient des poubelles à l’extérieur, lui venait avec son synthétiseur, qu’il possède encore. Et il y avait le Vieux.

« Le Vieux Montréal de Montréal faisait penser à Berlin. C’était sale, il y avait des spectacles improvisés dans des lofts. Les gens lançaient leur bouteille aux musiciens en signe d’appréciation (!) au lieu d’applaudir. Aujourd’hui, on est rendu tellement Politically Correct. Tout est aseptisé. »

« On s’appropriait d’espaces abandonnés. Par exemple un tunnel qui passait sous l’avenue du Parc. On distribuait des tracts photocopiés sur une Xérox qu’on laissait chez des disquaires alternatifs. On peignait le tunnel vers 1h du matin,  Les gens arrivaient vers 2h, givrés, avec leur alcool. On dévissait une plaque pour brancher un boom box et les gens peignaient par-dessus ce qu’on avait fait au son de la musique punk. Aujourd’hui on ne peut pas toucher aux œuvres. Ce sont des zoos où l’on est empaillé. »

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[Photos fournies par l’artiste.]