Le poète Yvon Jean présente son deuxième recueil de poésie, tout en joual, publié par les éditions Première Chance. Son premier, « Noires Poésies », avait grande-ment intéressé la scène poétique underground de Montréal.
Comment définir la poésie d’Yvon Jean, un homme plus grand que nature ? Son œuvre, avant d’être de la poésie, est d’abord une parole. Une parole brutale, qui s’arrache de la poitrine du poète passionné. Quand on lit ses poèmes, on entendez le poète déclamer. L’effet est d’autant plus saisissant si on l’a au moins une fois vu en performance directe. Sa poésie est construite pour être dite.
« Au pic pis à pelle » est divisé en deux parties. La première a pour titre le nom d’un flamboyant poème, selon moi un des plus beaux de la poésie du Québec contemporain : « l’Homme Déwrenché ». Un texte qui témoigne de la dure vie des gens du Québec des années 50, incarnée par la vie de sa propre famille. On y entend la voix de son père, semblable à la voix de tous les pères. Elle nous transporte dans un passé pas si lointain, époque où le Québécois était oppressé culturellement, moralement, financièrement…
La seconde partie du recueil porte également le nom d’un grand poème de 53 strophes, presque aussi magistral que le premier, « Y s’marche à l’amour ».
Ces deux poèmes recèlent bien les thématiques chères à Yvon Jean. Il y fait l’apologie du poète qui « arrive en ville / Faubourg à m’lassement » — « Pas cultivé comme un légume / Ça fait pas Proust quand y pète » ! Il parle de la misère, « Y’avait pas d’aide soociale dans c’temps là — ça buvait pas de Papsi », des gens du petit peuple qui devaient travailler comme des chiens pour arriver à survivre : « Faisait des ménages chez l’bourgeois en haut d’la côte ». Dans certains poèmes, on entend un père violent qui semble s’en prendre à un enfant particulier : le Québec.
Les poèmes d’Yvon Jean poursuivent tous l’absolu. Il pose la poésie comme moyen sine qua non de vivre. Pour lui, le poème n’est pas un artifice littéraire, une rosace de mots, mais bien un instrument d’éducation sociale et de transmission culturelle. Sa poésie : « une agace-pissette du tympan à poésie noire » nous plonge dans un Québec cru qui tend à se libérer de ses chaînes. Certains des textes nous replongent dans les événements de la grande grève étudiante, par exemple. Tout cette œuvre respire la liberté kerouacienne.
Côté technique, Yvon Jean sort littéralement du lot. Dans ses strophes se suivent, sans se quereller, des alexandrins et des heptasyllabes. Elles sont complètement isométriques. Sa forme est libre, n’a d’exigence que le discours. Puis, dans l’ère du vers libre, il travaille beaucoup la rime. Son joual, justement, crée des opportunités de rime très intéressantes. Une versification en langue du faubourg à m’lasse, c’est dépayser un style purement français ! Le rythme, comme nous le savons, est très important dans le joual, sa langue est en ce sens très bien séquencée, écrite d’une main de maître. La musique des vers, une caractéristique d’Yvon Jean, est strictement bien composée. Le ton y est aussi.
Cet opuscule est une réussite. Yvon Jean nous y livre un bagage poétique impressionnant. Le recueil parle du Québec aux québécois. Plusieurs vers sont de véritable bijoux. Les poèmes sont magnifiques, gigantesques, ils creusent loin dans le cœur de l’homme. Que vous soyez un simple amateur de poésie ou un fervent du vers, vous serez charmés par ce livre. C’est également une excellente idée cadeau pour le temps des fêtes. Et il faut le dire, en encourageant Yvon Jean, c’est toute une communauté de poètes que vous encouragez, parce que l’homme est très impliqué dans le milieu et organise de nombreux événements poétiques.
[Lire le portrait : Yvon Jean, poète. Page Facebook du livre.]