Bordel de tête et poésie… Yves Desrosiers

yves-desrosiersLa romance du vin, ce poème écrit par Émile Nelligan un soir de mai 1899, est le premier titre du 3e album solo d’Yves Desrosiers.

C’est que la poésie dans ses plus beaux délires a inspiré le musicien pour l’écriture des chansons de Bordel de tête. L’auteur-compositeur-interprète nous invite à entrer dans l’univers de quelques poètes à savoir Gilbert Langevin, Robin Aubert, Ivy, Roger Tabra, Vladimir Vissotski et Émile Nelligan. Yves Desrosiers nous a déjà offert une œuvre très forte inspirée des chansons et poèmes du dissident russe Vladimir Vissotski. Le CD avait pour titre Volodia, une des productions musicales les plus fortes des dix dernières années au Québec, selon moi. Je connaissais Desrosiers le fin mélodiste, le guitariste inventif, mais je ne soupçonnais pas une telle force au niveau de l’interprétation. Sa voix allie puissance et subtilité, et il en résulte que la force des mots de Vissotski touche en plein cœur notre sensibilité. Dans Bordel de tête, j’ai retrouvé ces envolées musicales qui font que les mots prennent d’assaut de nouveaux horizons. On en oublie les rimes.

Malgré une sobriété qui lui est propre, Yves Desrosiers est un créateur important de la scène musicale québécoise depuis une vingtaine d’années. Le multi-instrumentiste a pour ainsi dire commencé sa carrière musicale au sein du groupe Zébulon (1984), puis on le verra aux côtés de Jean Leloup avec La Sale Affaire (1989-93). Un peu plus tard, avec Mononc’ Serge, il forme Les Blaireaux, duo qui s’est produit sur plusieurs scènes un peu partout au Québec. Au milieu des années 90, Lhasa de Sela est de passage à Montréal et Yves Desrosiers a tout de suite envie de travailler avec elle. Une grande complicité se tisse entre les deux musiciens et se concrétise avec la parution du disque La Llorona où Desrosiers joue magnifiquement de la guitare, tout en signant la réalisation de l’album. C’est au cours d’un spectacle de Lhasa que j’ai pour ainsi dire découvert Yves Desrosiers. Une espèce de force tranquille dans son jeu de guitare aussi bien que dans son  interprétation vocale m’avait séduit.

J’écoute depuis quelques jours les pièces de Bordel de tête et j’ai le sentiment de vagabonder à travers différents univers poétiques sans m’éloigner d’une même vulnérabilité de l’âme. Je suis fasciné par le fait que d’un auteur à l’autre, d’un style à l’autre, il n’y ait pas de brisure. La couleur musicale bien personnelle du compositeur, introspective et libre, se mêle si bien aux mots qu’elle leur donne un deuxième souffle. Yves Desrosiers a fait preuve d’un grand discernement dans le choix des textes. J’y découvre Robin Aubert dans Schizophrènes entre autres, où cette vulnérabilité de l’âme que j’évoquais respire entre les mots: « …Rien de mieux que de voler / Sans ailes et sans argent/Pauvres, libres/ Et affamés/À contre-courant / D’une foule au regard froid… » /Des schizophrènes divaguent au loin/Sur des chemins ardents/Sans équilibre… » Ce texte a une certaine parenté avec Le vol imaginaire signé par Gilbert Langevin… « Tout mon sang se faufile /Vers une âme étrangère/…Le délire a des ailes/Qui emporte mon cœur/Comme une simple fleur/Au bec d’une hirondelle… /Puis je dois revenir/De ce ciel en délire/Par la voie du désert… » Sur Bordel de tête, je retrouve avec bonheur trois autres poèmes de Vladimir Vissotsky qui vibrent toujours avec fougue sur la guitare de Desrosiers. Je pense à La chasse aux loups, par exemple, « aux loups urbains », dira Yves Desrosiers en entrevue à CIBL avant de prendre sa guitare et d’en livrer une interprétation étonnante en direct. Sur le feuillet accompagnant le CD, il est écrit: « La chanson Pas besoin (texte de Roger Tabra), je la dédierai à ma petite sœur de la musique et défunte chanteuse Lhasa de Sela. » En entrevue, je ressentais l’émotion dans la voix de l’auteur-compositeur quand il évoquait les tournées avec Lhasa, une partie importante de sa vie. Et en remerciant ceux qui ont participé à la réalisation de Bordel de tête, Yves Desrosiers écrit: « Merci à tous les musiciens qui sont venus jouer avec moi dans mon carré de sable. »

C’est fou comme ce « carré de sable » nous invite au voyage, là où l’imaginaire tient lieu de ligne d’horizon.

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Site d’Yves Desrosiers. Soirée-lancement ce soir mercredi 21 août au Verre Bouteille.

François Martel anime une émission hebdomadaire sur la chanson francophone: Vinyle en mille morceaux à l’antenne de CIBL, 101,5 FM le dimanche matin à compter de 10 h. Site de François Martel.